/!\ Attention : ce texte contient d’importants spoils sur l’histoire de Pokémon Origins, et devrait être lu uniquement après avoir fini les 5 Chapitres disponibles dans le fan game.

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Épisode 1 : Envol

Ça faisait bien une heure que j’avais les yeux fixés sur la mer. J’en avais presque perdu la notion du temps. Je l’avais rarement vue d’aussi près, et ce spectacle m’avait profondément captivé. Mon Ponyta commençait à s’impatienter et il me fit revenir à la réalité d’un léger coup de museau derrière la tête. Je me relevai rapidement et je tapotai à mon tour le front de mon partenaire, puis je me retournai en direction de notre campement. Mon Pokémon semblait impatient de rentrer et il s’élança au trot vers le nord. Je lui emboîtai donc le pas sans perdre une seconde.
Après quelques minutes de marche à travers les collines arides parsemées d’herbes sèches, nous arrivâmes en vue d’une vingtaine de tentes installées près d’un cours d’eau. Un vaste troupeau de Ponytas et de quelques Galopas broutait les herbes qui avaient poussé dans cet oasis providentiel. Quelques hommes les surveillaient tandis que des enfants jouaient à proximité.
Au loin s’étendaient des dunes de sable à perte de vue, elles me semblaient bien plus vastes et interminables que l’océan que je venais d’admirer. C’était sur ces terres que j’avais vu le jour, une dizaine d’années auparavant, cet endroit stérile que l’on appelait le Désert du Désespoir. Je menais une existence nomade avec ma tribu, spécialisée dans l’élevage de Ponytas. Nous parcourions les vastes terres arides qui convenaient parfaitement à ces Pokémons, toujours en quête d’eau et de parcelles à brouter au fil des saisons. Les Ponytas et Galopas étaient notre seul moyen de subsistance. Ils nous fournissaient des vêtements, de la nourriture, et faisaient de précieuses montures pour chasser. De plus, leur force et leur acharnement au travail en faisaient une précieuse monnaie d’échange avec les peuples qui vivaient en dehors du désert.
Je sortai de mes rêveries et je dévalai la dernière colline pour rejoindre ma tribu. Aussitôt, trois enfants avec qui je jouais souvent se ruèrent dans ma direction.
— Tayir ! cria le premier.
— Ça fait longtemps que t’es parti ! ajouta la deuxième en me serrant la jambe. On s’inquiétait pour toi !
— Désolé, répondis-je. J’étais parti en reconnaissance et j’ai un peu traîné.
Tandis que les enfants nous accueillaient chaleureusement, mon Ponyta et moi, un vieil homme s’approcha lentement. Il s’appuyait sur un grand bâton sculpté de motifs complexes. C’était le doyen de notre tribu, le plus sage et le plus érudit.
— Vous n’avez pas à vous inquiéter pour Tayir, commença-t-il. Il est on ne peut plus débrouillard. De plus, son fidèle Ponyta le protège.
La petite fille du groupe se tourna alors vers le doyen et lui lança :
— Quand c’est qu’on pourra avoir un Ponyta à nous, hein ?
— Vous êtes encore bien jeunes, sourit le doyen. Il vous faudra attendre votre dixième anniversaire, et surtout faire vos preuves en aidant la tribu. Alors ne relâchez pas vos efforts.
Soudainement motivés par ces paroles, les trois enfants repartirent au pas de course vers les tentes pour chercher comment ils pouvaient aider. Le doyen s’approcha de moi et posa une main affectueuse sur ma tête.
— Tu as bien grandi, Tayir. J’ai l’impression qu’hier encore, tu étais haut comme trois baies Mepo, et je m’amusais à grattouiller tes cheveux rouges toujours mal coiffés.
— Tout change, répondis-je avec désinvolture en tentant de dissimuler ma fierté. C’est normal.
— Tu es un grand frère et un modèle pour ces enfants. Tu as toujours été là pour prendre soin d’eux lorsque leurs parents étaient trop occupés par leur travail.
— Pourquoi tant d’éloges, aujourd’hui ?
Le vieil homme retira sa main du sommet de mon crâne pour se gratter la barbe quelques instants, puis il répondit :
— Tu es toujours aussi direct, jeune homme. Ne t’inquiète pas, je n’ai rien à te demander, si ce n’est de continuer à prendre soin d’eux.
Je connaissais bien le doyen, et je sentais qu’il était ailleurs, comme si quelque chose le préoccupait.
— Vous êtes sûr que je ne peux rien faire d’autre pour vous aider ? insistai-je.
Il regarda vers les collines desséchées quelques instants en soupirant, puis il répondit :
— Les temps changent, Tayir. Notre mode de vie paisible et pacifique pourrait être mis en péril. C’est pour cela que nous devons toujours nous entraîner au combat. Pour défendre notre territoire et nos valeurs.
— Je le sais bien, mais qu’est-ce qui change, au juste ?
— Eh bien… De plus en plus de gens pénètrent dans notre désert avec des intentions douteuses. Il semblerait qu’ils cherchent à l’exploiter d’une manière ou d’une autre. Nous ignorons qui ils sont, mais certains disent qu’ils viennent d’un endroit au-delà de l’océan.
— J’ai entendu des rumeurs à ce sujet. Mais qu’est-ce qu’ils veulent, exactement ?
— Cela reste à déterminer, mais récemment, j’ai rencontré plusieurs de leurs émissaires qui semblaient connaître l’existence d’Entei, notre divinité protectrice. Ils m’ont réclamé la relique légendaire permettant de communiquer avec lui.
— Entei… L’être du Feu qui vit dans ce volcan endormi… Je pensais que c’était une légende.
— C’est une grande marque de confiance que je t’accorde en te révélant ceci, mais cette relique existe bel et bien. Nous devons cependant faire en sorte que ces gens n’aillent pas au-delà du mythe et ne s’en emparent jamais.
— C’est compris, je serai prudent.
Je saluai le doyen et me dirigeai vers la tente de ma mère. Le vieil homme me regarda partir avec un sourire rassurant, mais je sentais qu’il était inquiet. L’idée qu’un élément extérieur pouvait perturber notre quotidien paisible m’était insupportable, et je préférai aussitôt me concentrer sur le repas du soir.
J’avais à peine commencé à marcher qu’une petite fille qui était restée à l’écart s’approcha de moi en baissant la tête.
— Tayir… commença-t-elle timidement. Pardon… J’ai encore cassé ma poupée…
C’était Ada, une petite fille solitaire qui n’osait se confier qu’à moi. Elle me tendit sa poupée, simple et sans artifice, dont l’œil droit s’était encore détaché. Je me penchai vers elle et lui passait doucement la main dans les cheveux.
— Ne t’inquiète pas, Ada. Je vais m’en occuper. Il se fait tard, alors je verrai ça demain à la première heure.
— Merci… murmura-t-elle en serrant sa poupée contre son cœur avec un visage rassuré.
Je m’étais souvent appuyé sur les autres au sein de la tribu, mais au fur et à mesure que je grandissais, je sentais que d’autres commençaient à compter sur moi. Pour eux, j’étais devenu important.

Cette nuit-là, après avoir dîné avec ma mère, je sortis de notre tente pour me changer les idées. Le vent glacial des steppes nocturnes me fouetta le visage et je frissonnai. Les yeux levés vers les étoiles qui étaient particulièrement lumineuses, mon esprit vagabondait d’une pensée à l’autre : mon père qui avait succombé à la rigueur du désert alors que j’étais très jeune, les soins prodigués par les autres membres de la tribu qui m’avaient tous élevé à leur manière, les plus jeunes qui comptaient désormais sur moi… Les inquiétudes soulevées par le doyen revinrent bien vite me hanter. Et si ces envahisseurs venus d’ailleurs s’en prenaient à nous ? Serais-je capable de défendre ceux qui me sont chers ?
Le seul moyen de survivre, c’était d’être fort, et je ne l’étais pas assez. Tout en fixant la Pokéball de Ponyta, je me remémorai les nombreux entraînements auxquels nous nous étions soumis ces derniers mois. Même avant d’avoir un Pokémon, les adultes m’avaient appris à survivre et à me défendre. Mais cela ne me suffisait pas. J’étais terrorisé par l’idée qu’une force bien plus grande puisse exister, une force contre laquelle je ne pourrais rien faire. Je ne voulais pas finir comme mon père, alors je ne devais pas me satisfaire de ce que j’avais déjà, il fallait aller encore plus loin.
Alors que j’étais perdu dans mes pensées, je remarquai une étoile qui brillait un peu plus que les autres. Elle scintillait d’une lueur rouge vif, et semblait devenir de plus en plus grande, comme si elle se déplaçait. Je ne rêvais pas, cette étoile était bien en train de traverser le ciel, fonçant vers l’est, comme si elle se dirigeait vers le volcan sacré. L’espace d’un instant, je crus percevoir des ailes qui battaient dans ce scintillement écarlate. C’est alors que je me remémorai une histoire dont m’avait parlé le doyen : celle de Flambusard, ce Pokémon flamboyant qui traversait parfois le ciel de notre région et qui apportait la prospérité à ceux qui l’apercevaient.
Je ne quittais pas des yeux cette lumière qui semblait perdre de l’altitude, jusqu’à sa disparition derrière les collines de l’est, dans la direction du volcan. Loin de m’émerveiller devant la beauté de ce spectacle, c’est une autre pensée qui m’avait aussitôt traversé l’esprit : ce Pokémon était sans doute extrêmement puissant. S’il apportait la prospérité à ceux qui le voyaient, qu’en serait-il de son dresseur ? C’était devenu une évidence : il me le fallait. J’en avais besoin pour protéger ma tribu.
Je passai subrepticement la tête dans la tente de ma mère pour m’assurer qu’elle dormait, je réunis quelques baies et Pokéballs à la va-vite, j’attachai ma gourde et mon couteau de survie à ma ceinture avec précaution, et je me mis en route dans la nuit. J’espérais être revenu avant l’aube, ou avant midi au plus tard.

Après plusieurs heures de marche dans les collines obscures et désolées, j’aperçus enfin le volcan qui se détachait dans un horizon où le soleil matinal allait déjà bientôt apparaître. Épuisé par ce voyage et frigorifié par la nuit du désert, j’avais tenu le coup grâce aux flammes de mon Ponyta qui marchait à mes côtés. Il était encore trop petit et trop faible pour pouvoir me transporter à travers le désert comme l’aurait fait un Galopa. Je ne pouvais que constater mon inexpérience et ma stupidité : le voyage avait été bien plus long que je ne l’avais anticipé, et j’avais sous-estimé la fatigue d’une nuit blanche.
Pourtant, il était hors de question de faire demi-tour si près du but, je continuais à avancer d’un pas décidé vers l’immense masse rocheuse qui me tendait les bras. À mesure que je m’approchais, j’étais de plus en plus impressionné par sa grandeur. J’avais entendu de nombreuses légendes sur le volcan sacré, et je l’avais aperçu de loin, mais jamais je ne m’y étais aventuré. Au pied du volcan, j’apercevais quelques Chamallots brouter une végétation un peu plus luxuriante qu’aux alentours. Le sol y était certainement plus fertile, et il n’y avait pas eu d’éruption depuis plusieurs millénaires. On disait même que son cratère était désormais devenu un lac, oasis de vie dans ce désert.
Mais alors que je rêvassais devant la grandeur de ce monument naturel, une vive lueur attira mon attention. Le soleil ne s’était pas encore montré, et c’était comme si un phare se détachait des pentes du volcan. Je reconnus cette lumière flamboyante qui avait traversé le ciel et qui m’avait attiré jusqu’ici. C’était mon seul et unique objectif.
Une fois au pied du volcan, je rappelai Ponyta dans sa Pokéball et j’entamai une ascension dont je n’avais pas du tout anticipé la difficulté. Pendant deux bonnes heures, je grimpai avec prudence et détermination, m’écorchant les mains, les bras et les jambes sur les roches pointues. Je me dirigeais vers le piton rocheux que j’avais vu briller, même si je n’avais qu’une idée approximative de sa position. Le soleil s’était progressivement levé, mais comme j’escaladais le versant ouest du volcan, il m’offrait encore un peu d’ombre.
Épuisé par tous mes efforts, je décidai de m’arrêter quelques instants pour boire un peu et manger quelques baies. J’avais à peine avalé quelques bouchées qu’un bruit attira mon attention. C’était comme une puissante rafale de vent. Lorsque je levai la tête, il était là, posé sur un piton rocheux, me fixant de son regard perçant… Celui que je voyais comme une arme indispensable à ma quête de puissance… Flambusard.
Son plumage rouge vif était éclairé par le soleil qui avait dépassé le sommet du volcan, mais également par les flammes abondantes qui recouvraient son corps et ses ailes. C’était une vision presque surnaturelle. Je ne pris qu’un instant pour m’émerveiller, et je me relevai aussitôt pour lancer la Pokéball de Ponyta.
— Ponyta ! hurlai-je. Il faut frapper vite ! “Roue de Feu” !
Mon compagnon s’entoura de flammes et se rua vers notre adversaire, mais ce dernier se protégea simplement avec ses ailes et projeta Ponyta contre un rocher. Mon compagnon s’effondra au sol, assommé par le choc. J’étais complètement paniqué, et je m’en voulais d’avoir été aussi naïf. Est-ce que j’avais vraiment une chance ?
Flambusard se jeta de son perchoir et fonça sur moi en quelques battements d’ailes. Je me jetai sur le côté et parvins à l’éviter de justesse. Mon adversaire effectua un demi-tour extrêmement vif et précis avant de revenir dans ma direction. Je décidai alors de tenter de lui lancer une Pokéball. J’attendis qu’il ne soit qu’à quelques mètres de moi, et je me jetai derrière des rochers avant de lui lancer la Pokéball. Le Pokémon ouvrit aussitôt le bec et cracha un puissant jet de flammes. Les rochers me sauvèrent la vie, mais la Pokéball fut réduite en cendres.
Recroquevillé derrière ma cachette, j’étais terrorisé. Je jetai un regard dans la direction de Ponyta qui était inerte, étendu près du rocher qu’il avait percuté. Flambusard reprit de l’altitude et se tourna finalement vers mon compagnon. Dans le ciel, je vis aussitôt qu’il avait changé de silhouette. Il avait replié les ailes et fonçait en piqué vers Ponyta. Mon ami qui m’avait toujours fidèlement défendu était à présent en danger par ma faute. Même si je pleurais de peur et de honte d’avoir provoqué cette situation, je ne pouvais pas rester sans rien faire.
Je me ruai hors de ma cachette et je me mis à courir de toutes mes forces vers Ponyta. J’espérais pouvoir le pousser derrière le gros rocher qui se dressait à côté de lui. Lorsque j’arrivai enfin devant mon compagnon, je compris que l’impact avec Flambusard était imminent. Je n’avais plus le temps de déplacer Ponyta. Un instinct de survie prit alors le contrôle de mon corps. Sans réfléchir, j’empoignai le couteau qui était à ma ceinture, et je le tendis vers Flambusard en hurlant :
— ARRÊTE !!
L’espace d’un instant, le temps sembla figé. Je crus même discerner de la surprise dans le regard de Flambusard qui n’était qu’à deux mètres de moi.
Au dernier moment, l’assaillant se redressa et interrompit son piqué. Je fus ébahi de pouvoir l’admirer d’aussi près. Mais lorsqu’il déploya ses ailes, un torrent de flammes déferla dans ma direction. Aussitôt, je sautai en arrière pour y échapper et tendis mon bras gauche devant mon visage dans un réflexe désespéré. La douleur que je ressentis alors fut inscrite à jamais dans ma mémoire.

Lorsque je repris connaissance, j’étais étendu au sol. Flambusard avait disparu, et Ponyta était devant moi, inquiet de constater mon état. J’étais stupéfait d’être encore en vie, mais la douleur de mes brûlures me fit presque regretter d’avoir survécu. J’avais souvent subi des brûlures en m’occupant des Ponytas et des Galopas, mais certaines que je venais de subir n’avaient rien de comparable.
Je réussis à m’appuyer sur mon bras droit pour m’asseoir et constater mon état. J’avais plusieurs brûlures mineures sur le torse, mais le plus préoccupant était mon bras gauche qui semblait avoir subi des brûlures bien plus graves. Je pouvais à peine le bouger.
J’étais épuisé et rongé par la douleur, mais je me relevai aussitôt. Ponyta tenta de m’en dissuader, mais je le rappelai dans sa Pokéball. Je n’avais pas le choix, je devais rentrer. J’avais pris des risques stupides et abandonné ma tribu pour un espoir futile, je devais assumer mon erreur. J’avais perdu mes dernières baies et ma gourde, alors je ne devais pas m’éterniser ici. Même avec un seul bras valide, je réussis à redescendre du volcan en empruntant le chemin le moins escarpé et le plus sûr possible. Après avoir récupéré un peu d’eau et de baies au milieu de la verdure au pied du volcan, je me remis en route vers l’ouest, cette fois sous la chaleur écrasante du soleil qui était à son zénith.

Après de longues heures, bien plus interminables qu’à l’aller, j’aperçus enfin le cours d’eau à proximité duquel nous nous étions installés. Le soleil allait déjà bientôt se coucher à l’ouest des collines. J’ignorais comment j’avais trouvé la force de parcourir cette distance dans mon état. Une fois encore, j’avais l’impression de ne plus réfléchir et d’être guidé par un instinct de survie.
Enfin, j’arrivais en vue de la dernière colline qu’il me fallait franchir. Derrière m’attendait ma tribu, où tout le monde était certainement mort d’inquiétude. Ma mère allait sans doute me passer un savon mémorable, et le doyen allait à coup sûr me faire la morale, mais tout le monde serait soulagé de me revoir en vie, et les enfants viendraient écouter le récit de mon périple avec des yeux brillants…
Je fus brutalement sorti de mes rêveries lorsque j’atteignis le sommet de la colline. Là, en bas, il n’y avait plus rien. Ou plutôt si, il y avait une scène cauchemardesque. Les tentes de ma tribu étaient dispersées, déchirées, calcinées, nos affaires éparpillées… Mais je ne voyais personne, absolument personne. Pas un adulte, pas un enfant, pas un Ponyta.
Saisi par la panique et l’angoisse, je me mis à courir vers les restes du désastre. Que s’était-il passé ? Il y avait forcément une explication. Les membres de ma tribu avaient dû fuir quelque part. Ils n’étaient quand même pas…
Alors que je marchais prudemment au milieu des tentes déchirées, je remarquai un immense couteau… Un poignard, dont la lame était couverte de sang. J’étais terrifié et je n’osais plus bouger, mais c’est alors que j’aperçus près de l’arme une poupée à moitié recouverte par le sable. Je la saisis dans ma main droite et remarquai tout de suite son œil droit manquant. C’était celle d’Ada…
Les larmes commençaient à poindre au coin de mes yeux fatigués, mais je m’interrompis soudainement en entendant une voix.
— Alors ? Rien à signaler ?
Instinctivement, je me jetai au sol pour me dissimuler derrière les restes d’une tente. En glissant la tête hors de ma cachette, je vis deux hommes qui portaient des combinaisons aux couleurs des sables du désert. Cela expliquait pourquoi je ne les avais pas repérés plus tôt.
— Rien du tout, répondit le second. Plus aucun corps dans le coin. Je pense qu’on a fait le tour.
— Pfff… On a toujours pas la moindre info utile, quelle plaie…
— Retournons au bûcher pour voir où en sont les autres.
Tout en prononçant ces mots, l’homme mystérieux pointait vers l’ouest, derrière les collines où j’étais régulièrement allé gambader avec Ponyta et les autres enfants. C’est alors que j’aperçus une immense colonne de fumée dans cette direction. Mon cœur se serra. Je n’osais pas imaginer ce qui se trouvait là-bas, mais j’étais obligé d’admettre qu’un horrible sort avait sûrement été réservé aux membres de ma tribu. Ma mère, le doyen, les autres anciens, les enfants, Ada… Ce n’était pas possible, ils ne pouvaient pas tous être là-bas… J’avais envie de hurler, de pleurer, d’arrêter de respirer… Mais ce n’était pas le moment. Ces monstres étaient devant moi, et je devais m’en tirer. Abandonner maintenant, ç’aurait été les trahir tous.
Je décidai de rester immobile en attendant le départ des deux assassins, mais alors que le premier se mit à marcher vers l’ouest, le second déclara :
— Deux secondes, j’ai plus que trois poignards. J’ai dû en faire tomber un. Il doit pas être loin.
— Traîne pas trop, répondit son acolyte.
L’homme des sables se mit à inspecter les alentours. Inexorablement, il se rapprochait de moi. Instinctivement, je tendis la main vers ma ceinture pour saisir mon couteau de survie. Il n’était plus là. J’avais dû le perdre lors de ma confrontation avec Flambusard.
Mon regard se posa alors sur le poignard ensanglanté qui se trouvait juste à côté de la poupée borgne. Je n’avais pas le choix, il fallait que je me défende. Je m’accroupis sans faire un bruit et saisis la terrible lame en serrant son manche de toutes mes forces. Je ne pouvais compter que sur mon bras droit pour asséner un coup fatal.
Je retenais ma respiration et j’écoutais les pas du meurtrier s’approcher de ma position. Les bruits du désert n’avaient aucun secret pour moi. Juste avant qu’il ne me découvre, je me dissimulai derrière un lambeau de tissu extrait d’une tente déchirée. J’entendis ses pas passer tout près de moi, et je crus que j’allais mourir étouffé à force de ne plus respirer. Mais quand je sentis qu’il m’avait tourné le dos, je bondis hors de ma cachette et lui sautai dessus en hurlant toute ma rage. Avec son poignard, je lui assénai de puissants coups dans le dos, en visant son cœur. Mon ennemi s’effondra en hurlant. Assis sur son corps inerte, je répétais les coups de poignard au même endroit, encore et encore, comme si j’avais peur qu’il se relève. Le sang et le sable se mélangeaient à mes larmes qui coulaient maintenant à flots. Cette peur et cette douleur s’ajoutaient à la souffrance constante que m’infligeait mon bras gauche entièrement brûlé.
Je venais de le faire. J’avais tué un homme. Il était là, devant moi. Mais je n’avais aucun remords, il fallait que je le fasse. C’était lui ou moi.
J’entendis alors l’appel de son complice, qui était encore assez proche pour avoir entendu son cri.
— Hé ! lança-t-il. C’est quoi, ce barouf ? Tout va bien, là-bas ?
Seul le silence du désert lui répondit.
— Bordel ! hurla-t-il. Tu te fous de moi ? Réponds !
Le deuxième homme fit demi-tour et s’approcha lentement du camp. Il dégaina deux poignards, un dans chaque main. Je ne pouvais plus compter sur l’effet de surprise, et je n’étais pas en état de me battre. Que pouvais-je faire ? Est-ce qu’il fallait que j’utilise Ponyta ? Non, je l’avais déjà trop mis en danger par mon incompétence, il fallait que je m’en sorte seul.
Je ne pouvais compter qur sur mon bras droit et je dus réfléchir au plus vite à un plan de survie. C’est alors que je récupérai le poignard que je venais d’utiliser, et que je me tournai vers la poupée qui gisait au sol. Rempli de rage et de regret, j’enfonçai le poignard dans la tête de cette innocente victime, à l’emplacement où elle aurait dû avoir un œil droit.
Une seule pensée me dévorait l’esprit : j’aurais dû être là. J’aurais dû les protéger, et je suis parti poursuivre une ambition stupide. J’ai abandonné toute ma tribu. Mais est-ce que j’aurais vraiment pu faire quelque chose ?
J’entendis de nouveau le deuxième homme appeler son complice. Je ne pouvais pas me torturer à un tel moment. Il fallait agir.
Gardant la poupée embrochée au bout de mon poignard, je me dissimulai à nouveau derrière une autre tente. Cette fois, j’escaladai les décombres pour me placer un peu en hauteur, espérant pouvoir surprendre mon adversaire par les airs.
Lorsqu’il découvrit son compagnon inerte, l’assassin poussa un cri de surprise et scruta aussitôt les alentours avec attention. C’est à ce moment que j’élançai mon bras droit de toutes mes forces vers les décombres d’une tente qui se trouvait tout près de lui. Dans le mouvement, la poupée se détacha du poignard et fut projetée vers mon objectif. Dès qu’il entendit un bruissement de tissu, le guerrier surentraîné effectua un geste vif et précis pour embrocher son agresseur. Son poignard se planta dans la tête de la poupée et vint se loger dans un rondin de bois dans les décombres. Lorsqu’il réalisa son erreur, il était trop tard. J’avais déjà bondi depuis ma cachette surélevée et j’avais atterri sur ses épaules. Avec des mouvements mal assurés qui auraient aussi bien pu me tuer, je lui assénai plusieurs coups au niveau de la gorge.
Tout comme son acolyte, l’homme aux couleurs des sables s’effondra. Cette fois, je laissai la lame ensanglantée et émoussée dans une des nombreuses plaies béantes qu’elle avait infligées. Après quelques instants pour reprendre mes esprits, je me relevai péniblement. Les larmes s’étaient arrêtées de couler sur mes joues. Je serrais simplement les dents, de toutes mes forces. En me retournant, je vis son poignard qui était resté planté dans le rondin de bois, avec la poupée d’Ada empalée au bout. Je fus pris de nausées et je crus que j’allais perdre connaissance.
Il fallait que je parte d’ici, mais j’étais blessé, épuisé, affamé, déshydraté… Je boitillai lentement à l’extérieur du campement, vers les collines de l’est par où j’étais arrivé. Il fallait que je parte avant que le reste de leur groupe n’arrive, ceux qui se trouvaient sous cette colonne de fumée…
La douleur dans mon bras gauche s’était à présent étendue à mon visage, et au reste de mon corps. Je n’avais plus les idées claires.
Alors que je relevai la tête, je crus apercevoir un homme au sommet de la colline d’où j’avais observé les ruines de notre campement. Il était grand et à l’allure imposante, mais je m’effondrai sur le sable avant d’avoir pu observer son visage.
Je n’avais pas perdu connaissance, mais mon corps ne répondait plus. J’entendis alors des pas sur le sable. Je ne rêvais pas, il y avait bien quelqu’un. Il allait certainement en finir avec moi. C’était terminé.
Mais au lieu de me faire transpercer par un poignard, j’entendis une voix claire et ferme s’adresser à moi :
— Quel triste spectacle, c’est bien malheureux.
Je voulais relever la tête pour voir qui me parlait, mais j’en étais incapable. L’homme continua :
— Ces pillards du désert sont des êtres sans foi ni loi. Je suppose qu’ils s’en sont pris à ta famille.
Je parvins à émettre un vague son pour confirmer ses dires.
— Je suis sincèrement désolé pour toi, mon garçon.
Je sentis alors que l’homme s’accroupissait pour parler tout près de mon oreille.
— Tu as fait preuve d’un grand courage pour sauver ta vie. Je t’ai vu faire face à tes deux agresseurs avec une bravoure, une malice et une sauvagerie que je n’avais jamais vues chez un enfant de ton âge. Tu es venu à bout de tes ennemis malgré tes blessures et la peur que tu as dû ressentir.
L’homme se redressa et resta silencieux quelques instants. Puis il reprit :
— Ce monde est cruel, mon garçon. Il faut savoir se montrer aussi rude et impitoyable pour espérer s’en sortir. Je sens en toi une puissante flamme qui brûle, et il serait dommage qu’elle s’éteigne aujourd’hui.
Je parvins enfin à relever la tête, mais ma vision n’était plus assez claire pour distinguer le visage de mon intelocuteur. Je vis cependant qu’il me tendait la main.
— Viens avec moi. Je vais te soigner. Et surtout, je vais te rendre plus fort. Bien plus fort. Pour que jamais tu n’aies à revivre un tel drame.
Réunissant mes dernières forces, je tendis le bras droit et saisis sa main. Je crus distinguer qu’il sourirait.
— Quel est ton nom, mon garçon ?
— Tayir… murmurai-je péniblement.
— Je suis le Général Ignacio, ravi de te rencontrer.

Catégories : Fanfiction

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