/!\ Attention : ce texte contient d’importants spoils sur l’histoire de Pokémon Origins, et devrait être lu uniquement après avoir fini les 5 Chapitres disponibles dans le fan game.

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Épisode 2 : Fonction

Au fond de mon cachot, j’ai perdu toute notion du temps. Je ne vois plus la lumière du jour et je n’entends pratiquement aucun bruit. Seule la visite périodique d’un fidèle de la Terre rompt le silence. Il vient vérifier que je suis toujours en vie, sans toutefois m’apporter la moindre ration d’eau ou de nourriture.
Peu m’importe. J’ai passé des années à méditer dans la Caverne de la Destinée, et j’ai développé ma propre source d’énergie vitale. Je ne suis guère plus dépendant des apports externes en nutriments.
Pourtant, une chose ici est différente. Mes repères sont brouillés, et je ne parviens pas à percevoir la présence d’êtres vivants au-delà de ma geôle. C’est très certainement dû à l’influence d’un ou de plusieurs Sages dans les parages. Aucun n’est toutefois venu à ma rencontre, pour l’heure. Peut-être attendent-ils que je m’épuise dans cet environnement physique et spirituel qu’ils contrôlent. Mais ma ténacité est grande, je ne perdrai pas pied si facilement.
Dans cette solitude confuse, seuls mes souvenirs m’accompagnent. Je continue de retracer mon parcours et de réfléchir à la portée de mes actes…

Après avoir embarqué aux côtés du Sage du Vent, il y a 32 ans, j’ai passé une année sur une île isolée. Son paysage rocailleux et désolé n’abritait que quelques bâtiments antiques, peuplés par des scribes de la Confrérie de la Terre qui semblaient avoir pour unique rôle de m’instruire et de me surveiller.
Nous passions nos journées dans les allées de l’immense bibliothèque, et j’engrangeais d’innombrables connaissances sur le monde, l’histoire d’Elenos, et les théories élémentaires.
Je m’étais lancé à corps perdu dans cet apprentissage, et j’en oubliais parfois de manger ou de dormir. J’avais l’impression qu’en accumulant toutes ces connaissances, j’allais gagner en puissance, en influence, et que je pourrais enfin agir pour le bien.
Durant cette période, les trois Sages des autres Confréries vinrent me rendre visite tour à tour : le Sage du Vent, qui m’avait mené jusqu’ici, le Sage de l’Eau, un homme aussi passionné que passionnant, et le Sage du Feu, dont chaque phrase était toujours lourde de sens.
Depuis le début de la guerre des 4 Confréries, tout contact avait été coupé entre les différentes factions, aussi les Sages ne se montraient-ils jamais au grand jour lorsqu’ils me rendaient visite. Ils m’apportèrent toutefois des renseignements complémentaires dont les scribes n’avaient pas connaissance.
Le Conseil des Sages avait été officiellement dissout lorsque la guerre avait éclaté, mais ils continuaient à se réunir en secret, échangeant des informations et devisant sur la conduite à adopter au sein de chaque Confrérie. Je commençais à comprendre que les 4 Sages étaient une force très influente, agissant dans l’ombre. Ils n’avaient officiellement qu’un rôle de représentation lors des grands évènements, où ils apparaissaient souvent aux côtés du Chef de leur Confrérie. Mais leurs paroles étaient toujours écoutées avec attention par les différents officiers.
Mes homologues me firent part de leur volonté de protéger l’équilibre des éléments et de mettre fin au chaos qui ne faisait qu’empirer au fil des mois. Partageant leurs convictions, je m’efforçai de compléter ma formation au plus vite.

Après une année de travail intensif, ma cérémonie d’intronisation fut organisée. Je me rendis à la résidence du Chef de la Confrérie de la Terre, où une grande partie des officiers avait été réunie pour cet évènement solennel. On plaça sur ma tête une coiffe rituelle, on me fit enfiler la robe traditionnelle du Sage, et on me fit prêter serment. J’étais officiellement devenu le Sage de la Confrérie de la Terre.
Pour la première fois, je rencontrai tous ces hommes et toutes ces femmes dont j’entendais parler depuis mon enfance : les fidèles, les officiers, le Chef, tous les gens qui faisaient vivre cette Confrérie. Personne ne savait où j’avais passé mon enfance, ni comment le Sage du Vent m’avait retrouvé. Cela importait peu, aux yeux de tous, j’étais l’héritier de cette lignée providentielle dont le but était d’éclairer notre chemin vers la prospérité.
J’endossai mon rôle avec un grand sérieux, participant à de nombreuses réunions stratégiques avec mes officiers, ainsi qu’aux rencontres clandestines avec les autres Sages. Pourtant, malgré nos efforts, la trajectoire des 4 Confréries semblait invariablement s’orienter vers un conflit de plus en plus sanglant.
Mes conseils les plus avisés et les plus pacifistes étaient ignorés par les officiers, rétorquant que notre Confrérie allait être la première à disparaître si nous baissions les armes avant nos ennemis. De leur côté, mes homologues semblaient rencontrer la même réticence, sans toutefois s’en alarmer. Selon eux, il faudrait faire preuve de patience pour atteindre la résolution la plus satisfaisante.

Un soir, je fus convoqué dans la salle d’audience du Chef de la Confrérie de la Terre. En dépit de son apparente brutalité, cet homme musculeux était capable de discours justes et galvanisant qui lui valaient le respect de son entourage. Ce soir-là, cependant, il me fit part de ses doutes quant à mes positions récentes.
— Sauf votre respect, vénérable Sage, que cherchez-vous ? Pensez-vous vraiment que notre Confrérie trouvera le salut en se rendant à l’ennemi.
— Je ne parle pas de se rendre, rétorquai-je, mais d’entamer des négociations plus ouvertes que celles du mois dernier.
— Vous avez bien vu ce qui est arrivé ! La Confrérie du Feu a capturé nos émissaires, et qui sait quelles tortures ils ont subies ?! Je refuse de réitérer un tel fiasco !
— Peut-être que les discussions auraient été plus constructives si nos émissaires n’avaient pas exigé une reddition pure et simple.
— Il suffit ! s’emporta le Chef. Malgré tout le respect que j’ai pour votre statut, la guerre exige de prendre des décisions radicales. Le rôle d’un Sage est de guider sa Confrérie vers la prospérité, pas vers la condamnation !
Il me tourna subitement le dos avant de conclure :
— Je compte sur vous pour apporter un avis plus éclairé lors des futures réunions. Vous pouvez disposer.

Les années passèrent, et malgré quelques périodes plus calmes, le conflit semblait s’enraciner de plus en plus profondément dans les esprits, comme un fardeau inévitable. Mes homologues et moi parvînmes à éviter certaines catastrophes, mais la tendance générale restait toujours inflexible.
Un jour, alors que je discutais avec le Sage du Vent dans le secret du palais où je vivais, je lui fis part de mon désespoir. Il tâcha cependant de se montrer rassurant :
— N’ayez crainte, mon bon Gensîl. Restez convaincu que nous n’œuvrons pas en vain. Ce conflit est le résultat inéluctable d’une dégradation dans l’harmonie des éléments qui a été entamée il y a fort longtemps. Les choses ne s’arrangeront pas simplement, mais je suis convaincu qu’un avenir plus radieux nous attend. Pour l’atteindre, nous devons redoubler d’efforts.

Lors de la réunion suivante du Conseil des Sages, le Sage de l’Eau se joignit à nous après un voyage de plusieurs mois. Il s’absentait parfois de la sorte pour partir naviguer au-delà d’Elenos et comprendre le monde dans sa globalité.
— Mes chers confrères, commença-t-il, la tendance que j’avais déjà observée ne fait qu’empirer. Dans d’autres régions du monde, la technologie se développe à un rythme effréné, et le lien entre les humains et la Nature a été définitivement mutilé. Les habitants de ces contrées fabriquent désormais des usines et des véhicules qui crachent du poison dans l’air. Ils brûlent les forêts, assèchent les rivières et les lacs, piétinent tout ce qui vit… Et dans quel but ? Tout cela pour assouvir des besoins qu’ils se sont créés eux-mêmes, l’envie d’accumuler, de posséder toujours plus, d’en faire toujours plus, toujours plus rapidement.
Les discussions lors de cette réunion furent particulièrement houleuses. Obsédé que j’étais par les Confréries et leur histoire, je n’avais fait qu’accumuler des connaissances sur le passé. Mais il y avait d’autres individus dans ce monde qui se tournaient inexorablement vers l’avenir. Un avenir qui semblait de plus en plus périlleux pour l’équilibre des éléments.
Le Sage du Feu prit alors la parole avec solennité :
— Mes chers amis, il nous faut agir. Ce n’est plus qu’une question d’années avant que cette folie destructrice déferle sur Elenos, cette terre sacrée par la bénédiction des éléments. Les Confréries se sont retirées de l’île principale il y a bien longtemps, mais plus que jamais, il est temps qu’elles y reprennent leur place.
— Mais comment ? l’interrompis-je avec perplexité. Elles sont enlisées dans ce conflit sans fin, jamais elles ne pourront entreprendre d’action coordonnée.
— Nous n’en sommes que trop conscients, répondit le Sage du Feu, c’est pourquoi nous devons faire en sorte que ce conflit se tourne à présent vers l’île principale. C’est à nous de faire le nécessaire pour instiller ce nouvel objectif au sein de nos Confréries.
Je ne parvenais pas à croire ce que je venais d’entendre et m’interposai :
— Avez-vous perdu la raison ? Si le conflit se tourne vers l’île principale, d’innombrables innocents en paieront le prix.
— Un prix somme toute bien dérisoire en comparaison avec l’équilibre naturel, répondit le Sage de l’Eau avec un air impassible qui me glaça le sang.

Après cette terrible réunion, je fus plongé dans un doute plus profond que jamais. Les Sages n’étaient-ils pas censés œuvrer pour la paix ? Mais au fond, pour la paix de qui ? L’équilibre des éléments était-il un intérêt supérieur aux vies humaines ? Je frissonnais en imaginant la forêt d’ébène, l’endroit où j’avais grandi, et tous les innocents qui vivaient dans cette région.
Durant les mois qui suivirent, mon implication et mon influence au sein de la Confrérie de la Terre ne firent que diminuer. Je ne savais plus où se trouvaient le bien et le mal. Quelle était la bonne décision ? Vers qui pouvais-je me tourner ?
Lors d’une autre réunion avec mes homologues, le Sage du Feu lança les débats en me jetant un regard inquisiteur et en déclarant :
— Il semble que notre ami Gensîl ne soit guère décidé à œuvrer dans la direction que nous avons récemment établie. Nos efforts pourraient s’en retrouver réduits à néant.
Je décidai alors de faire preuve de franchise, et je fis part de mes doutes à mes confrères. Le Sage du Vent secoua alors doucement la tête avec un air réprobateur et déclara :
— Mon bon Gensîl, je vous pensais au-dessus de ces basses considérations matérielles. Les vies humaines ne sont que poussières dans l’univers, et les faire passer avant tout le reste est inconcevable. Par ailleurs, nous sauverons bien plus de vies en rétablissant l’équilibre des éléments au plus vite.
Le Sage de l’Eau gratta sa longue barbe blanche et ajouta :
— J’aurais pensé que votre esprit serait plus vif, Gensîl, mais peut-être est-il temps de clarifier nos véritables intentions.
Le Sage du Vent hocha la tête et prit un ton grave :
— Je ne voulais pas vous assommer avec plus d’informations que nécessaire, mais il est temps que vous compreniez l’ensemble de la situation pour pouvoir adhérer sans réserve à notre objectif.
Il me fixa avec son regard perçant avant de continuer :
— Je sais que vous avez bien fait vos devoirs et que vous avez étudié les origines des 4 Confréries. Vous savez que nos factions étaient autrefois réunies en une : la Confrérie Élémentaire, et qu’elle avait construit un immense édifice sur le Lac Originel qu’on appelait le Temple des Origines. Ce monument était maintenu grâce au pouvoir des 4 Orbes Élémentaires : l’Orbe de la Terre, l’Orbe du Vent, l’Orbe du Feu et l’Orbe de l’Eau. Lorsque des dissensions ont éclaté au sein de la Confrérie Élémentaire, des cultes séparés ont commencé à se former. Les dirigeants de chaque culte étaient obsédés par la puissance de leur élément respectif, et chacun a tenté de s’emparer d’un des Orbes Élémentaires. Mais lorsqu’ils tentèrent de retirer les Orbes de leur support, ces trésors sacrés se désintégrèrent. Le Temple des Origines, privé de son énergie, sombra alors au fond du Lac Originel, et cet évènement marqua la fin de la Confrérie Élémentaire.
En effet, j’avais étudié tous ces éléments en détail lors de ma formation, mais j’ignorais où le Sage du Vent voulait en venir. Il continua :
— La lignée des Sages se transmet une histoire légèrement différente de la version officielle : les Orbes Élémentaires auraient été animés d’une volonté propre et se seraient dispersés aux 4 coins d’Elenos pour échapper à la convoitise humaine.
J’étais déstabilisé. Moi qui pensais tout savoir, je n’avais jamais entendu cette partie de l’histoire. Il continua :
— Depuis ce jour fatidique, l’harmonie entre les éléments n’a jamais été rétablie. En tant que Sages, nous devons œuvrer pour le bien commun. La quête des 4 Orbes Élémentaires est donc l’un de nos objectifs principaux. Pour rétablir l’équilibre de la nature, il nous faut faire renaître le Temple des Origines. C’est dans ce but que nous parcourons le monde pour réunir ces artéfacts sacrés. Nous avons jusqu’ici établi que les Orbes sont probablement restés autour de l’île principale d’Elenos, et que chacun a été placé sous la protection d’un gardien. Malheureusement, nous n’en avons pour l’heure trouvé aucun.
Petit à petit, je commençais à comprendre toutes les implications de ces révélations, mais certains points restaient obscurs.
— Pourquoi garder tout cela secret ? demandai-je. Il faudrait des décennies à 4 Sages isolés pour écumer tous les endroits possibles.
Le Sage du Vent secoua la tête et répondit :
— Le bien commun n’est plus la priorité des 4 Confréries depuis longtemps. Elles ont bien tenté de coexister, mais leurs visions opposées n’étaient que les piliers friables d’un équilibre précaire voué à l’effondrement. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’un conflit éclate.
Le Sage de l’Eau me jeta alors un regard aussi froid que déterminé et ajouta :
— Et quitte à ce qu’une tragédie se joue, autant en écrire chaque ligne.
— Que… Que voulez-vous dire ? balbutiai-je en chancelant.
— Soyons clairs, abrégea le Sage du Feu, il y a 10 ans, le Chef de la Confrérie du Feu s’est intéressé de trop près aux affaires du Conseil des Sages. Ce fouineur mégalomane voulait nous évincer, et prévoyait de faire des révélations à notre sujet lors du grand rassemblement des 4 Confréries. C’est pourquoi nous n’avons eu d’autre choix que de le supprimer.
J’étais sans voix devant la portée de ces révélations. Le Sage du Feu continua avec un air effroyablement impassible.
— Cet évènement fâcheux a mis le feu aux poudres. De nombreux officiers des 4 Confréries n’attendaient qu’un prétexte pour se lancer dans leur course à la violence et à la domination. Si ce n’avait pas été ça, une autre excuse aurait fini par les décider.
Mes convictions étaient ébranlées. Je tentais de comprendre la complexité de la situation.
— Mais… soufflai-je. Notre but n’est-il pas de garantir la paix et l’harmonie ?
— C’est exact, répondit le Sage du Vent. C’est pour cela que nous n’avons pas à faire grand cas de cette guerre futile. Les vies humaines sont éphémères et s’achèvent immanquablement tôt ou tard. Nous devons voir plus loin et rester concentrés sur la résurrection du Temple des Origines.
— Pourquoi m’avoir caché tout cela ? lançai-je avec un regard méfiant.
Le Sage du Vent posa sa main sur mon épaule et me regarda fixement.
— Je n’ai guère besoin de vous expliquer à quel point ces informations sont sensibles. Vous deviez faire vos preuves en tant que Sage, mon cher Gensîl. Au fil de nos années de collaboration, nous avons tous trois senti au fond de vous une profonde conviction. Vous aspirez à la paix et l’harmonie, comme tout Sage qui se respecte. Il vous faut cependant prendre conscience d’une chose : nous n’accomplirons rien de grand sans sacrifices.
Le Sage de l’Eau hocha la tête et ajouta :
— C’est une lourde responsabilité qui pèse sur nos épaules, mais nous devons continuer à placer patiemment nos pions pour qu’enfin, les éléments retrouvent leur équilibre.
— C’est un travail de longue haleine, continua le Sage du Vent, mais nous ne perdrons pas de vue ce qui doit être fait.
Un silence pesant s’empara de la pièce. Après de longues secondes, le Sage du Vent me demanda avec solennité :
— Pouvons-nous compter sur votre soutien, mon bon Gensîl ?
À cet instant, je sentais tout le poids de la destinée qui pesait sur mes épaules. Je repensai à l’harmonie pure et innocente qui régnait dans la forêt d’ébène, et à toutes les menaces qui pesaient sur elle. Ma fonction impliquait désormais de prendre des décisions difficiles pour le bien commun. Mais qu’était vraiment ce « bien commun » ?
Je regardai finalement le Sage du Vent droit dans les yeux et déclarai :
— Oui, comptez sur moi.

Catégories : Fanfiction

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