Épisode 2 : La mission
Lorsque j’ouvris les yeux, Jessica et Gérard avaient déjà terminé leur petit-déjeuner. Ils étaient en train de ranger la table au centre du refuge au moment où je sortis du lit.
— Cyrio ! Comment te sens-tu ? s’enquit aussitôt Jessica.
— Bien dormi ? me lança Gérard.
Avant de leur répondre, je pris quelques instants pour évaluer mes sensations. Les douleurs musculaires un peu partout dans mon corps semblaient s’être presque estompées, et je me sentais prêt à marcher des kilomètres. En revanche, une douleur sourde était toujours omniprésente dans ma tête. En me levant, je décidai de les rassurer :
— Je vais beaucoup mieux. C’est grâce à tous les bons soins que vous m’avez prodigués.
— Ravi de l’entendre ! se réjouit Gérard en ouvrant une fenêtre. Installe-toi donc à table, je vais te préparer une bonne tisane avec quelques baies.
J’avais l’estomac dans les talons, et j’ai presque été déçu en entendant que je mangerais encore des baies. Je ne voulais pas montrer ma déception, mais Jessica sembla la relever aussitôt et ajouta :
— Malheureusement, les repas ne sont pas très variés, chez nous. Nous n’avons pas pu emporter beaucoup de provisions. Les baies sont abondantes dans les environs, donc nous en profitons.
— Ça me va très bien, répondis-je en souriant pour rassurer mes hôtes.
Alors que je m’asseyais, Gérard revenait déjà avec un verre et une coupole remplie de fruits.
— Tiens ! Bois, pendant que c’est chaud ! C’est une tisane à l’Herbe Blanche. Cette plante a de nombreuses vertus, que ce soit pour les humains ou les Pokémons. Pour ce qui est des baies, je t’ai mis quelques Baies Oran et des Baies Pêcha. Avec ça, tu vas faire le plein de vitamines et démarrer la journée en forme !
Pendant que j’essayais de ne pas avaler trop rapidement le nouveau repas que m’offraient mes hôtes. Gérard s’assit sur une chaise face à moi et Jessica faisait semblant d’être trop occupée pour nous écouter.
— Alors Cyrio, commença Gérard, tu as pris ta décision ?
Je le dévisageai quelques instants avant de répondre calmement.
— Elle n’a pas changé. Je compte toujours partir en voyage et libérer votre village.
— Tu es brave… et déterminé. Les gens comme toi sont devenus rares, de nos jours. Avec cette guerre qui sévit, de nombreuses personnes sont devenues égoïstes et seraient prêtes à laisser mourir toute leur famille pour survivre. Nous traversons une époque bien sombre…
Il se tut quelques instants, le regard perdu dans le vide.
— Enfin bref, je vais arrêter de radoter ! Je constate que l’on ne pourra pas retenir ta fougue. Cependant, il reste un point essentiel à régler : tu ne peux pas partir sur les routes sans Pokémon. C’est une règle de sécurité essentielle. Tu cours un grave danger à tout instant, et les Pokémons sont les meilleurs moyens de protection. Tu dois à tout prix en trouver un.
— Vous avez raison, répondis-je alors que je finissais déjà mes dernières baies. Mais où pourrais-je en trouver ?
— Oh… Il y en a beaucoup dans les montagnes. Mais pour capturer un Pokémon, il te faut une Pokéball, et je n’en ai pas, malheureusement…
Les Pokéballs, voilà aussi un concept familier qui me revenait à présent comme une évidence. Comment avais-je pu omettre ce détail ? Ces merveilles de la technologie qui permettent de capturer et stocker des Pokémons dans un espace restreint en les plaçant dans un état de dormance sont vraiment l’outil indispensable de tout dresseur de Pokémons.
— Comment faire ? demandai-je à Gérard après un bref moment de réflexion.
— Hum… Tu devrais aller faire un tour du côté de la Route 1, tu pourras peut-être trouver quelque chose. Nous n’avons malheureusement rien de mieux à te proposer…
— Ce n’est pas grave, vous avez déjà fait beaucoup pour moi. Il est temps, qu’à mon tour, je vous vienne en aide. Je vais trouver un moyen d’acquérir un Pokémon. Merci pour ce repas, conclus-je en me levant de table.
Je marchais déjà d’un pas décidé vers la porte du refuge lorsque Gérard ajouta :
— Sois prudent. Et repasse nous voir lorsque tu seras prêt à partir… J’aurai un certain nombre d’équipements à te confier pour ton voyage.
— Ne t’éloigne pas trop du camp ! lança Jessica.
Je remerciai à nouveau mes hôtes tandis que je refermai la porte en bois derrière moi.
Le soleil était déjà haut dans le ciel. Le vent était absent et l’air de cette journée printanière était presque chaud. Des Papilusions voletaient au dessus du bois de conifères, profitant de cette douce chaleur pour vaquer à leurs occupations.
Sans rêvasser davantage, je m’engageai sur le chemin de terre qui quittait le camp de réfugiés par l’est. Je venais probablement de pénétrer sur la Route 1, là où Gérard disait m’avoir trouvé inconscient. Je scrutais les alentours tandis que je progressais sur ce chemin, serpentant entre les arbres clairsemés et les buissons encore riches en baies. Des Roucools se régalant de fruits s’envolaient à mon passage, mais regagnaient rapidement leur perchoir pour reprendre leur repas dès que je m’éloignais. A ma droite se trouvait toujours le relief descendant des Montagnes du Nord qui semblait par endroits assez escarpé et qui me décourageait de m’y aventurer. Quelques minutes à peine après avoir commencé ma marche, je trouvai un large panneau de bois portant une inscription à moitié effacée :
→ Seinen Town
← Montagnes du Nord
Cette inscription me fit prendre conscience qu’il faudrait certainement traverser d’autres hameaux avant d’atteindre Rocambur, le village de Gérard et Jessica. J’ignorais quelle distance je devrais parcourir, mais je devais me concentrer sur mon objectif immédiat : trouver un moyen d’obtenir un Pokémon.
C’est alors que je remarquai un vieil homme adossé à un arbre, non loin du panneau, qui me regardait fixement. Lorsque je m’aperçus de sa présence, il ne détourna par le regard et continua de me fixer en souriant. Cet inconnu était assez âgé, il portait une élégante chemise verte et son visage était décoré par une barbe grise bien taillée et une couronne de cheveux argentés. Ses sourcils bas lui donnaient un regard sévère, mais il me paraissait bienveillant et m’inspirait confiance, si bien que je décidai de marcher vers lui. Je n’étais pas encore arrivé devant lui que déjà, il me salua :
— Bien le bonjour, mon enfant. Tu sembles observer les alentours avec intérêt. Je crois que tu cherches un moyen d’acquérir un Pokémon, je me trompe ?
J’interrompis ma marche, surpris par sa perspicacité, et lui adressai une réponse incrédule.
— Heu… c’est bien le cas…
— Et tu veux un Pokémon dans le but de libérer notre village de la Confrérie de la Terre, c’est bien ça ? continua-t-il, toujours imperturbable.
— C’est exact ! Mais… comment le savez-vous ?
— Oh… je sais beaucoup de choses, jeune homme. Vois-tu, j’ai un ami très puissant qui pourrait peut-être t’aider à réaliser un si noble but.
J’étais un peu déstabilisé par l’assurance de ce vieil homme, et je commençais déjà à me demander si j’aurais vraiment dû lui parler, mais je décidais de rentrer dans son jeu, désireux d’en apprendre plus.
— Ah ? Et où pourrais-je le trouver ?
— Hum… tu ferais bien d’aller faire un tour vers la montagne un peu plus au nord, qui sait ce que tu pourrais y trouver…
— Je ne comprends pas… Que voulez-vous dire ?
— Ne pose pas tant de questions. Va voir cette montagne. Tu pourrais y découvrir quelque chose…
Un peu confus, je me résignai à ne pas insister et je me mis en route vers le nord. Je n’étais pas vraiment ravi de suivre aveuglément les instructions d’un vieil homme étrange, mais je n’avais aucune autre piste, et je ne voulais pas passer ma vie à errer dans ces montagnes.
Alors que je suivais toujours le sentier de terre, je longeais un petit étang au bord duquel deux Ptitards pataugeaient gaiement. Ils sautillaient dans l’eau peu profonde en poussant des petits cris joyeux. Le vent commençait à se lever et les arbres autour de moi se mirent à onduler doucement. Sur mon chemin, je ne croisai qu’un randonneur qui semblait aussi perdu que moi, mais je ne m’attardai pas et j’arrivai bientôt en vue d’une petite éminence rocheuse. Je ne serais pas allé jusqu’à appeler ça une montagne, mais cela me semblait être ce à quoi faisait référence le vieil homme. Le terrain avait présenté assez peu de dénivelé jusqu’ici, et au loin se dressaient toujours les hauts sommets inaccessibles des Montagnes du Nord.
Gravissant prudemment la pente parsemée d’éboulis, j’arrivais bientôt devant une paroi rocheuse étrangement lisse. En baissant les yeux, je me rendis compte que de l’herbe avait poussé abondamment parmi les rochers, juste devant cette paroi. Je balayais les alentours du regard afin de comprendre pourquoi le vieil homme m’avait conseillé de me rendre ici. Je ne voyais rien d’autre que la cime des conifères se balançant dans le vent.
Je décidai alors de tâter cette paroi en espérant y trouver des indices. A l’instant où je posai la main sur la roche, je sentis une étrange énergie. C’était une sensation rassurante et apaisante. Je ne savais pas vraiment comment l’expliquer, mais cela n’avait rien à voir avec la chaleur se dégageant d’une roche ayant chauffé au soleil. J’inspectai ainsi toute la largeur de ce pan rocheux, sans trouver davantage d’indices que cette étrange énergie que l’on pouvait ressentir partout sur la surface minérale.
Ne sachant vraiment pas où pouvait me mener cette découverte, je décidai de repartir à la rencontre du vieil homme. Je repris donc le chemin en sens inverse et je hâtai le pas tout en ruminant intérieurement que je n’avais vraiment pas le temps ni l’envie de faire un jeu de piste.
Alors que j’arrivais à la hauteur du panneau de bois, le vieil homme m’accueillit d’un air satisfait.
— Alors, jeune homme, es-tu allé voir cette montagne comme je te l’ai conseillé ?
— Oui, répondis-je en montrant mon impatience, mais je ne comprends pas du tout où vous voulez en venir.
— Tu n’as donc pas compris ? Tu n’as rien ressenti, là-bas ?
— Heu… Si… J’ai ressenti une forte énergie, mais je ne saurais pas comment l’expliquer.
Il haussa les sourcils et tenta de dissimuler le sourire qui se dessinait sur son visage. Je ne pouvais pas retenir davantage les questions qui se pressaient en moi.
— Que vouliez-vous que j’y trouve ? Vous êtes très étrange, vous savez ? Et qui êtes-vous, d’abord ? Comment savez-vous que je cherche un Pokémon ? Qui est cet ami puissant dont vous parlez ? Et pourquoi m’avez-vous dit d’aller examiner cette paroi ?
Je manquai de me mordre la langue en réalisant que je venais de poser beaucoup trop de questions d’un coup. Mais j’étais déjà assailli par les doutes et les questions depuis mon réveil, et je ne pouvais pas en supporter davantage. Le vieil homme ne s’en formalisa pas et s’efforça de contenir son rire avant de répondre :
— Ah… l’insatiable curiosité de la jeunesse… Ça me rappelle mes jeunes années !
Il changea bien vite d’expression, jeta des regards aux alentours, puis se mit à parler moins fort.
— Ne sois donc pas si pressé. Je vais tout t’expliquer. Mais ne restons pas là pour bavarder. Depuis que cette guerre entre les Confréries a éclaté, on n’est en sécurité nulle part, et les murs ont des oreilles… Alors, prudence… Je te propose de m’accompagner dans mon refuge, au camp d’où tu es parti, je t’y expliquerai tout.
Réalisant que cet homme habitait aussi dans le camp de réfugiés, je le suivis sans protester vers cet endroit qui représentait l’un des seuls repères dans mon esprit amnésique. Alors qu’il se mettait en route, le mystérieux inconnu se mit à parler beaucoup plus fort et annonça :
— Je m’excuse de t’avoir fait tourner en bourrique, jeune homme ! Je t’invite à boire un thé dans mon refuge pour me faire pardonner.
Le vieil homme m’adressa un sourire tandis que je le regardais, stupéfait. Il n’ajouta plus un mot pendant que nous cheminions sur le sentier qui menait au camp. Il marchait devant moi, d’un pas lent et serein, les mains jointes dans son dos, tandis que j’essayais de m’adapter à son rythme réduit sans ajouter davantage de questions avant notre arrivée.
Alors que Cyrio s’éloignait en suivant le vieil homme qu’il venait de rencontrer, le silence s’installa à nouveau sur le sentier de terre de la Route 1… pour quelques minutes seulement. En effet, un buisson situé non loin du panneau de bois ne tarda pas à bouger anormalement, avant de laisser apparaître un visage maquillé. Un homme portant une tenue étrange recouverte de feuilles venait de sortir de sa cachette.
— Hum… Ils ne reviendront pas, inutile de les attendre.
Il sortit des buissons, ôta une branche emmêlée dans ses cheveux et se mit à pester :
— Rah ! Je suis sûr que ce Papy a quelque chose à cacher ! Mais pourquoi a-t-il demandé à ce gars d’aller examiner cette paroi ? Les gens d’ici sont bizarres…
Il jeta de rapides coups d’oeil autour de lui et haussa les épaules.
— Enfin… ce doit être un délire de ruraux qu’un homme aussi sophistiqué que moi ne peut pas comprendre. En attendant, je vais aller faire mon rapport. Cette zone ne représente aucun danger et elle peut être envahie sans risque.
Joignant subitement les mains et effectuant des gestes rapides, il se mit à crier :
— Technique de camouflage végétal !!
L’homme étrange disparut en ne laissant derrière lui que son ricanement et un tourbillon de feuilles…
Lorsque nous sommes arrivés au camp, le vieil homme me conduisit vers un refuge de plus petite taille que celui de Gérard et Jessica. Il m’ouvrit la porte et je découvris un intérieur tout aussi sobre que celui de mes sauveurs, une longue table en bois était posée sur un tapis, à côté de deux chaises. Je remarquai aussi une grande bibliothèque remplie de livres poussiéreux, ainsi qu’un garde-manger et un lit très rudimentaires. Quelques plantes en pot ajoutaient un peu de vie à cet intérieur austère.
Il s’assit sur une chaise et m’invita à m’installer en face de lui.
— Mets-toi à l’aise. Je suis désolé d’être resté si mystérieux jusqu’ici. Il est temps que nous discutions.
— En effet, répondis-je en manifestant à nouveau mon impatience, j’aimerais savoir à quoi rime cette mise en scène.
— Tout d’abord, permets-moi de me présenter. Je me nomme Marcus, et moi aussi j’habitais autrefois le village de Rocambur avant que cette infâme Confrérie ne nous contraigne à l’abandonner. Pour tout te dire, je suis le fils des fondateurs de notre village, et j’en suis devenu le maire.
Aussitôt, je repensais aux paroles de Gérard qui m’avait expliqué que ce camp avait été bâti par le maire de Rocambur, cet homme si prévoyant et bienveillant. Mon interlocuteur me paraissait tout à coup bien plus fiable.
— C’est donc vous, le maire… On m’a dit que vous aviez fait bâtir ces refuges pour les habitants de Rocambur.
— C’est exact, répondit-il le plus humblement du monde, cette guerre qui semblait si lointaine à l’époque me paraissait de plus en plus menaçante, et j’ai préféré prendre des précautions pour assurer la sécurité de mes concitoyens.
— Les habitants vous doivent beaucoup… Mais il y a encore certaines choses que je ne comprends pas. Comment saviez-vous que je recherchais un Pokémon ?
Son regard sembla s’illuminer un instant.
— Ah ça, c’est grâce à mon vieil ami… Il sait tant de choses…
— Mais qui est donc cet ami dont vous parlez sans cesse ? Et que sait-il de moi ?
— Il sait que tu as perdu la mémoire et que tu veux libérer Rocambur.
— Mais comment sait-il tout cela ? insistai-je d’un air incrédule. Connaît-il quelque chose de mon passé ?
— Hum… Non, je ne crois pas. Mais je sais qu’il peut t’aider dans la quête de tes origines. Je t’ai fait venir ici pour te conter son histoire et t’expliquer comment il peut te venir en aide. Es-tu prêt à entendre tout cela ?
J’avais l’impression que tous les gens que je rencontrais depuis mon réveil s’évertuaient à me conter de longues histoires qui ne faisaient qu’augmenter ma confusion, mais les évènements qui avaient actuellement lieu à Elenos était complexes. J’avais l’intime conviction que l’information était un outil essentiel pour progresser dans cet océan de doute.
— Si cet homme peut m’aider à obtenir un Pokémon, je veux en savoir plus. Racontez-moi !
Marcus acquiesça en silence et s’éclaircit la voix avant de commencer.
— Bien… Vois-tu, il y a quelques décennies de cela, j’avais un très précieux ami. Il se nommait Gensîl. Nous avions à peu près le même âge et nous faisions tout ensemble. Nous pouvions passer des heures à jouer dans la nature, inventant d’innombrables histoires et construisant des cabanes. Nous étions vraiment inséparables. Mais nous avions une différence, et de taille : à cette époque, j’habitais Rocambur avec mes parents, mais lui dédaignait la modernité et vivait au milieu de la forêt. Il s’était confectionné une hutte précaire, au milieu des bois. Il vivait au contact de la nature, il semblait être en harmonie parfaite avec elle et en connaître tous les secrets. Malgré nos différences, nous nous appréciions énormément et avons vécu d’innombrables aventures agrémentées de rires et de plaisirs simples. Nous grandissions ensemble et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Un jour, il m’avait même demandé de concevoir une encyclopédie électronique qui pourrait enregistrer toutes les données des Pokémons rencontrés. Il avait fait son premier pas vers la modernité, pour me faire plaisir mais aussi pour mieux connaître les Pokémons qu’il adorait. Avec l’aide de quelques scientifiques, j’ai conçu ce merveilleux appareil et nous l’avons nommé « Pokédex ».
Cet appareil me semblait relever d’une prouesse technique inimaginable, mais je n’étais pas d’humeur à m’extasier sur les progrès de la technologie.
— Cet objet devait être incroyable, mais permettez-moi de vous demander quelque chose : quel est le rapport entre cette histoire et la situation qui nous occupe actuellement ?
— Patiente un peu et tu vas comprendre… s’agaça le vieil homme en fronçant les sourcils encore plus que de coutume. Donc, comme je le disais, nous vivions très heureux ensemble. Mais… il y a exactement 32 ans de cela, son comportement a brusquement changé. Il semblait troublé et était parfois pris de crises d’angoisse. Je lui ai demandé ce qu’il lui arrivait, lui qui était toujours si calme et si serein, et il m’a répondu que les forces de la Nature souffraient d’un grave déséquilibre et qu’elles étaient en train de se détruire mutuellement. Je n’ai pas bien compris ce qu’il voulait me dire, et il m’a appris l’existence des 4 Confréries. Elles symbolisaient l’équilibre de la Nature, et le fait qu’elles soient en conflit mettait en péril l’équilibre naturel. Je lui ai ensuite demandé comment il pouvait être au courant de tout ça, et il m’a appris qu’il le ressentait… C’est difficile à expliquer… Il sentait que l’énergie de la Nature était en train de s’effondrer.
Cette histoire semblait entrer dans des sphères qui me dépassaient complètement, et je ne trouvai pas d’autre moyen d’exprimer ma frustration que de répondre :
— L’énergie de la Nature ? Qu’est-ce que c’est que ces bêtises ?
Marcus sembla rester indifférent à cette nouvelle remarque et me fixa droit dans les yeux.
— Ton incrédulité souligne ton ignorance. Cette énergie existe bel et bien, mais très peu de gens sont capables de la ressentir. Toutes ces années que Gensîl avaient passé dans la forêt lui avaient procuré le don étrange de ressentir l’énergie de la Nature. Je sais que c’est difficile à croire, mais c’est la stricte vérité. Il avait bien le don de communier avec les forces de la Nature, et il avait ressenti qu’un conflit opposait les piliers de cet équilibre : la Terre, le Vent, le Feu et l’Eau.
Le maire de Rocambur se tourna vers la fenêtre et son regard s’assombrit.
— Moi aussi, j’ai eu du mal à le croire, au début… Mais j’ai compris que mon ami était réellement perturbé. D’ailleurs, autour de nous, les Pokémons commençaient à s’agiter anormalement. Nous observions des comportements aberrants, comme des migrations sans lien avec la saison. Toute la Nature était en émoi…
— Les Confréries se livraient-elles à des batailles si terribles ?
— Tous les êtres vivants les ressentaient, continua Marcus en hochant tristement la tête, mais les hommes ont perdu cette harmonie avec la Nature et ne se doutaient de rien… Alors, après une semaine de souffrance mentale, Gensîl déclara que c’en était trop. Ces conflits devaient prendre fin. Il décida de partir pour les Montagnes du Nord et de s’isoler pour méditer, à la recherche d’une solution à cette terrible guerre. Je l’ai laissé partir et je fus bien triste de son départ. De mon côté, j’ai continué ma vie à Rocambur et je suis devenu maire. Et il y a 3 ans, des bruits ont commencé à courir dans la région à propos d’une guerre qui aurait éclaté. Il y a quelques mois, j’ai donc entrepris de construire des refuges dans les Montagnes du Nord pour protéger mes chers concitoyens, et je suis en même temps parti à la recherche de Gensîl.
— Et vous l’avez retrouvé ?
— Eh oui, j’ai entendu sa voix résonner dans ma tête et il m’a guidé jusqu’à la grotte où il méditait depuis 30 ans. Quel bonheur ça a été de le retrouver ! J’ai tout d’abord constaté qu’il avait énormément changé. Durant toutes ces années de méditation, il avait développé des facultés incroyables, comparables à celles des Pokémons de type Psy. Ainsi, il avait pu me parler par télépathie pour me guider. De plus, il camouflait l’entrée de sa grotte en créant l’illusion d’une paroi de rochers.
Lorsque Marcus termina sa phrase, tout sembla subitement faire sens dans ma tête. Je comprenais enfin pourquoi j’étais là à écouter son histoire. Encore abasourdi par cette réalisation, je balbutiai :
— Un instant.. Alors… vous voulez dire que… votre ami se trouve toujours derrière cette paroi que vous m’avez demandé d’examiner ?
Le vieil homme croisa les bras et prit un air satisfait.
— Oui, tu as enfin compris… Mais laisse-moi finir, veux-tu ? Ainsi, durant toutes ces années de méditation, Gensîl avait cherché une solution à la guerre des 4 Confréries, mais, malgré son immense sagesse, il n’avait trouvé aucune solution satisfaisante. Cette guerre semblait ne vouloir jamais s’arrêter… Nous avons passé quelques jours ensemble, puis je lui ai promis que je ferais mon possible pour l’aider si jamais il trouvait une solution. Et je suis reparti à Rocambur… Enfin, il y a une semaine, nous avons fui notre village pour nous réfugier ici. Je rends donc visite chaque jour à mon ami pour discuter avec lui. Hier, il m’a informé qu’un jeune homme amnésique avait été recueilli par Gérard.
— Mais… comment pouvait-il le savoir s’il reste toujours dans sa grotte ?
— Cela fait partie des pouvoirs qu’il a développés, il peut voir et entendre tout ce qu’il se passe dans les montagnes autour de sa grotte. Il ressent l’énergie des êtres vivants, et c’est comme s’il était omniprésent aux alentours.
L’histoire de Marcus éveillait de plus en plus mon intérêt, et je m’y étais complètement plongé.
— C’est stupéfiant… Mais alors, sait-il ce qu’il m’est arrivé avant que je perde la mémoire ?
— Malheureusement non, je ne crois pas. D’après ce qu’il m’a dit, tu devais te trouver trop loin de sa grotte pour qu’il ressente ton énergie.
— C’est dommage… soupirai-je sans dissimuler ma déception.
— Mais en tout cas, il m’a dit que le garçon qui venait d’arriver avait un potentiel inimaginable pour le combat Pokémon, et que le fait qu’il n’ait aucun souvenir lui conférait un coeur très pur. S’il avait des vices auparavant, il devait les avoir perdus avec sa mémoire.
Je manquais de tomber de ma chaise devant une telle série de louanges à propos d’un homme qui savait à peine qui il était.
— Moi ?! Un potentiel au combat et un coeur pur ?
— Oui, ce potentiel est sûrement dû à ta vie antérieure. Gensîl m’a donc informé que ce garçon amnésique était peut-être une solution à ces conflits, et qu’il pourrait faire quelque chose…
C’en était trop, j’avais opiné du chef durant de longues minutes devant ces histoires de Pokédex, de forces de la Nature et de pouvoirs psychiques, mais cette annonce était la plus invraisemblable de toutes.
— Moi ?! répétai-je en me levant de ma chaise. Je pourrais mettre fin aux conflits ? Mais c’est de la folie !
Marcus me fit signe de me rasseoir et essaya de me calmer.
— Je ne sais pas exactement ce qu’il a voulu dire, mais toujours est-il qu’il tient à s’entretenir avec toi et qu’il m’a promis de te remettre un Pokémon pour que tu débutes ton voyage.
— Mais, comment pourrais-je être doué au combat Pokémon ? Je ne me souviens pas en avoir déjà fait un seul, et je n’avais aucune Pokéball lorsque Gérard m’a trouvé.
— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, tu les as peut-être perdues. Mais Gensîl ne peut pas se tromper, j’ai confiance en lui. Donc, si tu es d’accord, tu vas lui rendre visite et il t’expliquera tout.
Alors que j’acquiesçai en essayant de digérer toute cette histoire, Marcus conclut son discours :
— Voilà tout. Est-ce que j’ai répondu à toutes tes questions ?
— Vous avez éclairé beaucoup de choses… Mais je me pose encore quelques questions. Pourquoi ne pas m’avoir dit tout ça sur la Route 1 lorsque vous m’avez rencontré ? Pourquoi m’avoir dit d’aller examiner cette paroi ? Pourquoi faire tant de mystère ?
— Je vois… soupira-t-il en secouant doucement la tête. Tu n’as donc pas compris.
— Hein ? Qu’est-ce que j’aurais dû comprendre ?
— Nous étions surveillés, tout simplement. Il faut se montrer très prudent en ce moment, toutes les Confréries envoient des éclaireurs et des espions dans les endroits qui ne sont pas encore conquis. Quand je t’ai rencontré, j’ai remarqué que quelqu’un nous épiait à travers les feuillages d’un buisson. C’est pourquoi je t’ai envoyé examiner cette paroi, pour tenter de te faire comprendre que quelque chose se cachait derrière. Puis, je t’ai fait venir ici pour tout t’expliquer en détail. Il ne faudrait pas que mon ami Gensîl se fasse repérer par une Confrérie, ce serait dramatique.
— Je comprends…
— Bon, reprit Marcus en se levant de sa chaise, je pense qu’on a assez perdu de temps. Je t’ai dit tout ce que je savais, et je ne peux malheureusement pas t’aider davantage. Je te propose de te rendre sans attendre dans la grotte de Gensîl. Il serait plus prudent que tu y ailles seul pour ne pas que nos allées et venues éveillent des soupçons.
— Vous avez raison. Merci de m’avoir fait part de votre histoire.
Je me levai à mon tour et me dirigeait vers la sortie du refuge du vieil homme qui, déjà, me tenait la porte.
— Sois prudent, et essaie de t’assurer que tu n’es pas surveillé.
— D’accord, merci de votre aide, Marcus.
— A plus tard, lança-t-il en refermant sa porte tandis que je me dirigeais déjà vers la Route 1.
Le soleil était à présent presque à son zénith tandis que j’empruntais une nouvelle fois le sentier que je commençais à bien connaître. A nouveau, je passais devant ce panneau de bois, et à côté de ce petit étang, tout en balayant les alentours du regard afin de m’assurer que personne ne me suivait. Mon esprit était en pleine tempête, croulant sous les réflexions et les interrogations. Ce Gensîl m’avait arbitrairement désigné comme une solution possible à ce conflit… Comment se permettait-il de prendre cette décision pour moi ? Devais-je vraiment me rendre dans sa grotte ?
M’arrêtant quelques instants, j’hésitais à faire demi-tour. Depuis que j’avais quitté le refuge de Gérard et Jessica, j’avais l’impression qu’on ne me laissait prendre aucune décision, je me laissais porter par les évènements et par les instructions d’un vieil homme. Et si je trouvais un autre moyen d’obtenir un Pokémon ?… Pourtant, certaines déductions de cet ermite semblaient convaincantes… Le potentiel qu’il avait décelé en moi pour le combat Pokémon faisait peut-être écho à ce que j’avais senti s’éveiller en moi dès que Gérard m’avait parlé des Pokémons… Et toutes ces connaissances sur ces créatures qui me revenaient naturellemment… Ce n’était pas anodin. Gensîl semblait me comprendre mieux que je n’en étais capable, et sans même m’avoir rencontré. Ma curiosité était trop grande, il fallait que je voie cet ermite.
Secouant la tête pour chasser mes idées négatives, je repris ma route prestement et j’arrivai bientôt en vue de ce monticule rocheux si mystérieux. Jetant un dernier regard prudent derrière moi, je gravis rapidement la pente et posai mes mains sur la paroi en essayant de comprendre comment accéder à la grotte.
Après que j’ai inspecté l’endroit quelques instants, la terre se mit subitement à trembler. Surpris, je tombai à terre et me cramponnai aux rochers, mais la secousse fut finalement moins violente que ce que je pensais. Je vis, stupéfait, les rochers de la paroi s’écarter doucement, laissant apparaître une ouverture béante. Le silence revint subitement. Encore hébété par ce spectacle surréaliste, je me relevai en ôtant la poussière de mes vêtements. Puis, prenant une profonde inspiration, je pénétrai dans cette grotte.
Les sensations qui m’envahirent alors étaient très difficile à décrire avec des mots. Alors que je pénétrais dans une caverne, je n’avais pas l’impression de marcher vers l’obscurité, et une douce lumière flottait autour de moi. L’endroit était nimbé d’une chaleur rassurante et d’un air aussi pur que celui des hauts sommets. L’atmosphère du lieu était imprégnée de cette énergie apaisante que j’avais ressentie en touchant la paroi rocheuse. Regardant autour de moi, je voyais des roches sombres incrustées de cristaux qui luisaient légèrement. Le sol sur lequel je marchais ne me semblait pas être de la roche, on aurait dit un tapis confortable et scintillant. J’avais l’impression d’être entré dans un autre monde.
Le plus surprenant était sans doute ce vieil homme qui se tenait devant moi, droit comme un i. Il portait une tunique grise noircie par les années, et, bien qu’il n’eût plus un seul cheveu, une longue barbe blanche couvrait son visage et s’étendait jusque sur son ventre. Ses yeux mi-clos, semblant porter le poids des années, me fixaient avec une expression à la fois rassurante et déstabilisante.
— Te voilà enfin, Cyrio. commença mon hôte avec une voix douce, mais étonnamment puissante. Je t’attendais. Sois le bienvenu dans la Caverne de la Destinée.
Devant la prestance de mon interlocuteur, je ne savais quoi répondre. J’aurais voulu poser mille questions, mais rien ne sortit. Le vieil homme continua.
— Marcus t’a tout raconté, n’est-ce pas ? Tu sais donc que je suis Gensîl, et que je médite ici depuis 32 ans.
Ne pouvant retenir mes interrogations, je décidais de briser la glace sans m’encombre de politesses.
— Heu… Oui. Mais je ne comprends pas comment vous avez fait pour camoufler l’entrée de votre grotte. Et comment voyez-vous tout ce qui se passe dans les montagnes ?
— C’est simple. Comme Marcus te l’a expliqué, durant ma longue méditation, j’ai développé de facultés surnaturelles pour le commun des mortels. On pourrait dire que je ne suis plus un humain, je suis devenu un composant de la Nature. Mon existence et mes pouvoirs sont aussi inaltérables que le déroulement des saisons et le temps qui passe…
Devant l’ampleur de ces déclarations, je ne savais comment réagir. Qu’avais-je donc en face de moi ?
— Je sais que c’est difficile à comprendre pour toi, reprit Gensîl avec un calme infini, mais ce que tu dois savoir, c’est que je ne supporte plus cette guerre entre les 4 Confréries qui déchire l’harmonie de la Nature. Et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l’arrêter.
Toujours abasourdi par l’ambiance des lieux et les déclarations de Gensîl, je ne pouvais faire qu’opiner du chef. L’ermite sembla s’en amuser.
— Ah, je parle, je parle ! Mais je ne t’ai pas fait venir ici pour t’expliquer l’origine de mes pouvoirs. En vérité, j’ai besoin de ton aide.
— Vous ? m’exclamai-je en laissant éclater mon incompréhension. Vous qui possédez tous ces pouvoirs incroyables ? Vous avez besoin de mon aide ? Moi qui ne sais même pas qui je suis ?
— C’est exact. Je sens en toi une grande force de caractère et un potentiel infini pour le combat Pokémon. De plus, tu as un atout très rare : ton amnésie.
— C’est un atout, ça ? laissai-je échapper, de plus en plus incrédule.
— Bien sûr, en perdant la mémoire, c’est comme si tu avais lavé ton esprit. Et je sens en toi une pureté qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Cette pureté peut être un avantage considérable dans la lutte contre le Mal. C’est pourquoi je vais te charger d’une mission…
Le vieil homme me regarda si fixement que je n’osais plus bouger.
— Je te demande de tout faire pour mettre fin à la guerre qui oppose les 4 Confréries.
Même si Marcus m’avait déjà informé de la requête de Gensîl, je ne pus m’empêcher de faire un pas en arrière devant l’énormité de ce qu’il m’annonçait.
— C’est une blague ? Moi ? Contre des milliers de guerriers ? Mais c’est impossible !
— C’est ce que je pensais au début. Mais crois-moi, j’ai senti en toi une force inimaginable. Je n’avais jamais rien ressenti de tel auparavant.
— Alors… vous savez d’où je viens ?
— Malheureusement, non. Mais je commence à avoir ma petite idée… Tu as sûrement dû t’entraîner au combat Pokémon depuis ton plus jeune âge.
Même si j’étais déterminé à accomplir la promesse que j’avais faite à Gérard et Jessica, ce Gensîl allait beaucoup trop loin à mon goût.
— Écoutez, mon objectif est simplement de libérer Rocambur. Cela semble déjà être une tâche extrêmement ardue, mais… je ne comptais pas aller plus loin. Même si j’étais réellement un prodige au combat, ce serait de la folie de se lancer en plein milieu de cette guerre.
— Je sais que tu tiens à libérer Rocambur pour remercier tes hôtes. Ce sera en effet ta première étape. Mais une fois que tu auras entravé les plans de la Confrérie de la Terre, il sera difficile de faire machine arrière. Ils risquent de t’identifier comme une menace et de te traquer jusqu’à être débarrassés de toi. C’est pour cela que tu n’as pas le choix : si tu empruntes le sentier de la guerre, il sera impossible de faire demi-tour.
— Mais, comment mener un tel projet ? Je ne pourrais rien faire en me lançant au milieu d’un champ de bataille, seul contre tous.
— Tu ne vas pas agir de cette façon, voyons. Tu progresseras dans l’ombre. Après avoir libéré Rocambur, il faudra avancer étape par étape, en déjouant les plans des Confréries le plus subtilement possible. Ainsi, le début de ton voyage fera office de retour aux sources, tu vas te refamiliariser avec les combats. Et au fur et à mesure, je suis sûr que tu vas reprendre confiance et devenir plus fort ! Par ailleurs, la solitude n’est pas une solution. Durant ton voyage, tu rencontreras sûrement des alliés qui pourront te venir en aide. Humains comme Pokémons, beaucoup rêvent que la région d’Elenos retrouve la paix.
L’idée exposée par Gensîl commençait presque à devenir plausible, voire séduisante. Cependant, je ne pouvais m’empêcher de faire preuve d’une certaine défiance.
— Et pourquoi accepterais-je une telle requête ? Pourquoi n’y allez-vous pas ?
— Quand tu vas développer à nouveau tes talents de dresseur de Pokémon, tu comprendras. Jamais je ne pourrais t’égaler sur ce plan, je n’ai d’ailleurs jamais combattu. Tu possèdes un potentiel unique, et c’est pour cela que j’ai décidé de te faire confiance. Pour la première fois depuis 32 ans, j’ai un espoir que la guerre prenne fin !
Voyant que je commençais à sérieusement réfléchir à sa proposition, mais que j’hésitais encore, Gensîl décida de jouer sur la corde sensible.
— Tu es en quête de ton passé, n’est-ce pas ? Eh bien, je pense que tu pourrais trouver quelques réponses en essayant de mettre fin à la guerre. Il te faut voyager à travers Elenos et comprendre l’histoire de cette région pour te comprendre toi-même. Tu as le pouvoir d’accomplir de grandes choses, tu ne peux pas te défiler. Les destins de la Nature, des hommes et de la région d’Elenos reposent sur tes épaules, désormais.
Gêné par ce raisonnement fataliste, je tentai une ultime riposte.
— Mais, attendez ! Je ne suis pas d’accord ! Je n’ai rien demandé, moi !
— Ton destin est de t’opposer aux 4 Confréries, continua Gensîl en donnant toujours autant de force à chacun de ses mots. On ne peut rien faire contre le destin. Tu peux y arriver. Si tu as confiance en ta force, tu vas y arriver.
— Vous croyez… me résignai-je sans trouver de nouveaux arguments.
— Que pourrais-tu faire d’autre ? C’est le meilleur moyen de découvrir qui tu es ! Je sais que c’est ton voeu le plus cher. Des milliers de vie sont en danger, et il ne tient qu’à toi de les sauver !
Un long silence s’ensuivit. J’essayais de repasser les évènements des deux derniers jours dans ma tête : cet orage, la légende des Confréries, ma promesse à Gérard et Jessica, l’histoire de Marcus et Gensîl, le potentiel qui sommeillait en moi… Est-ce que tout ceci devait me mener vers une telle décision ? Il avait raison : découvrir qui j’étais… c’était mon voeu le plus cher. Mais aider les gens de cette région était aussi un but qui exaltait mon héroïsme. Tout comme Gérard et Jessica, de nombreuses personnes devaient souffrir injustement dans cette région. Il fallait que j’essaye… Après un long soupir, je pris ma décision.
— Bon… Eh bien… Si c’est la seule solution… j’accepte.
Le visage de l’ermite, resté impassible jusqu’ici, changea légèrement. Ses sourcils se haussèrent et un léger sourire se dessina derrière sa longue barbe.
— Excellent ! Je te félicite d’avoir pris cette décision courageuse. Tu ne le regretteras pas.
Je n’arrivais pas à croire ce que je venais de dire… mais je l’avais fait. Peut-être aurais-je dû refuser et fuir en courant devant la folie de ce qu’on me demandait. Mais c’était trop tard… Comme si j’avais accepté cette notion de destin que Gensîl évoquait, j’avais l’impression que je ne pouvais pas échapper à tout ce qu’il m’arrivait depuis mon réveil. J’essayais de me rassurer en me convainquant que je ne prenais aucun engagement dans l’immédiat, que je me focalisais uniquement sur la libération de Rocambur, et que je pourrais toujours aviser ensuite. En croisant le regard de Gensîl, je me mis à craindre qu’il ne puisse lire dans mes pensées, et j’essayais d’étouffer le marchandage que j’avais entrepris avec ma conscience.
Voyant que j’acceptais la situation, l’ermite reprit :
— Il est temps que je te remette ce pour quoi tu es venu : un Pokémon qui pourra partir à l’aventure à tes côtés. Je me suis fait beaucoup d’amis Pokémons au cours de ma vie, et j’en ai réuni quelques-uns qui sont tous volontaires pour ce grand voyage. Mais… je ne vais t’en remettre qu’un. Celui qui te correspondra le mieux. Pour savoir duquel il s’agit, je vais te poser trois questions toutes simples qui me permettront de comprendre quel Pokémon te conviendrait. Tu as compris ?
— Oui, je suis prêt ! m’exclamai-je, déterminé à passer à la suite.
— Bien, alors rejoins-moi dans la salle suivante.
A peine Gensîl avait-il fini sa phrase qu’un flash m’éblouit durant quelques instants. Lorsque j’ouvris les yeux, le vieil homme avait disparu, et une ouverture était apparue au fond de la caverne. Même si on m’avait vanté les pouvoirs de cet ermite, ce spectacle me laissa une nouvelle fois sans voix. Le petit amas rocheux dans lequel j’avais pénétré semblait renfermer une caverne bien plus profonde que je ne l’imaginais. Reprenant mes esprits, je pénétrai rapidement dans cette nouvelle partie de la grotte.
En passant par l’ouverture qui venait de se dessiner, je découvris une nouvelle salle à l’ambiance tout aussi surnaturelle que la précédente. Gensîl m’attendait en son centre, toujours aussi imperturbable, tandis que quatre énormes rochers reposaient derrière lui, chacun semblant dissimuler un nouveau passage.
— Commençons sans plus attendre ce petit questionnaire, déclara l’ermite. Pour la première étape, je vais simplement te poser deux questions. En fonction de tes réponses, je t’ouvrirai un accès vers l’une des quatre salles suivantes où je te poserai la dernière question. Réponds sincèrement pour que je puisse déterminer quel Pokémon te correspond vraiment.
— C’est d’accord, répondis-je en me concentrant déjà sur ce qui s’annonçait.
— Bien, commençons. Imaginons que tu aies une semaine pour te préparer à la grande expédition que tu vas entreprendre pour mettre fin à la guerre. Où aimerais-tu passer cette semaine ? Dans un lieu paisible où tu pourrais faire le vide et te reposer ? Ou dans un lieu hostile où tu serais mis en danger pour t’entraîner ?
La première question était déjà très ardue. J’essayais de ne pas trop tergiverser et de suivre mes émotions du moment afin de répondre le plus instinctivement possible. J’étais convaincu que je n’étais pas du genre à me reposer sur mes acquis et à vouloir prendre du repos avant des combats importants. L’entraînement me paraissait être la voie évidente à suivre pour toujours m’améliorer.
— Je choisirais un lieu hostile, déclairai-je solennellement.
— Je vois… Tu préférerais un lieu hostile pour t’entraîner avant le combat. C’est bien, tu es déterminé. Mais tu dois faire attention à ne pas outrepasser les limites de ce que tu peux supporter. Le repos est aussi une part importante de la progression.
Il me laissa méditer ses paroles quelques secondes, puis il reprit le cours de ses questions.
— Mais… dans quel lieu préférerais-tu passer cette semaine d’entraînement intensif ? Dans un volcan en activité ou régnerait une chaleur étouffante et un danger permanent ? Ou bien dans une ville grouillant de monde, pleine de dangers et où seule primerait la loi du plus fort ?
Interloqué par ces deux options, j’avais cette fois besoin de plus de temps pour réfléchir à l’endroit où je désirerais vraiment m’entraîner… Essayant encore une fois de me baser sur mon intuition, je constatais que je n’avais pas particulièrement réagi à l’évocation du volcan, mais que j’avais frissonné en écoutant la description de cette ville bondée. Un océan de béton grouillant de monde… Voilà qui me paraissait effrayant. Un environnement hostile et étranger qui serait peut-être propice à explorer mes limites et à développer de multiples compétences en vue d’un voyage à travers Elenos.
— C’est un choix difficile, répondis-je calmement, mais je pense que mes capacités seraient davantage mises à l’épreuve dans une ville.
— Intéressant… commenta Gensîl. Tu penses donc qu’une ville moderne où il faut se battre pour obtenir de la nourriture, pouvoir posséder une propriété et de l’électricité peut être un bon endroit pour s’endurcir. Je comprends… Oui, tu as raison. On dit souvent que la ville est une « jungle » , après tout.
Il me fixa de nouveau quelques instants, avant de conclure :
— Eh bien, je commence à avoir une idée des Pokémons qui pourraient te correspondre… Il ne me reste plus qu’une question à te poser. Retrouve-moi dans la salle suivante, d’accord ?
A nouveau, un flash apparut quelques instants, et lorsqu’il s’estompa, l’ermite avait disparu. Je remarquai aussitôt qu’un rocher parmi les quatre, le plus à droite, s’était également volatilisé. Ne cherchant plus à comprendre les prouesses surnaturelles de Gensîl, je m’engageai dans la nouvelle ouverture qui s’était découverte.
Gensîl m’attendait dans une nouvelle salle, similaire à la précédente, mais avec uniquement deux rochers derrière lui. Agissant à présent comme si j’étais un habitué des lieux, j’avançai de quelques pas et je m’arrêtai devant lui, prêt à répondre à sa question.
— Bien, commença-t-il, l’heure est venue de passer à la dernière question. Elle est d’une importance capitale. Je sais déjà quel type de Pokémon te correspondrait, mais je voudrais savoir un dernier détail avant de te présenter un compagnon. L’évolution est une étape importante dans la vie d’un Pokémon comme dans celle d’un dresseur. Tout comme nous, les Pokémons changent tout au long de leur vie. Cependant, ils doivent passer par un certain nombre de transformations avant d’atteindre leur plein potentiel. Penses-tu que le Pokémon idéal n’évoluerait qu’une fois ? Il atteindrait ainsi sa forme finale plus rapidement, mais sa puissance grandirait peut-être moins rapidement. Ou préférerais-tu un Pokémon qui peut évoluer deux fois ? Il faudrait plus de patience et d’entraînement pour le faire grandir, mais cela pourrait être une belle récompense de le voir déployer tout son potentiel dans sa forme ultime.
J’étais à nouveau déstabilisé par cette question que je n’avais pas anticipée. Je n’avais pas pour habitude de classifier les Pokémons selon le nombre de formes évoluées qu’ils possédaient. Cependant, je suivis à nouveau mon instinct, et la promesse d’un Pokémon atteignant une forme ultime à l’issue de deux évolutions me paraissait être l’option la plus attrayante dans la longue expédition que j’allais entreprendre.
— Je pense qu’un Pokémon possédant deux évolutions me correspondrait mieux, décidai-je en montrant ma détermination.
— Hum… Donc tu préfères prendre plus de temps pour développer ton Pokémon et profiter du fruit de tes longs entraînements une fois qu’il aura atteint sa dernière évolution. Tu es patient, c’est bien…
Gensîl hocha la tête quelques instants avant de déclarer :
— Eh bien, je crois que tout est dit. Ce petit questionnaire est terminé. Je sais maintenant quel Pokémon te correspondrait le plus. Il t’attend dans la salle suivante. Je t’invite à venir le découvrir.
Gensîl disparut de nouveau dans un éclat lumineux, emportant avec lui le rocher le plus à droite de cette nouvelle salle et laissant apparaître un dernier passage. Cette fois, le moment était arrivé. Derrière cette arche rocheuse se trouvait le premier Pokémon qui allait m’accompagner durant ce nouveau voyage, ce retour aux sources, cette mission surréaliste… Quel genre de Pokémon était-ce ? J’avais du mal à l’imaginer. Le coeur tambourinant dans ma poitrine, je pénétrai au plus profond de la Caverne de la Destinée…
1 commentaire
Perpigoul · 21 août 2021 à 9 h 32 min
Waaaaaah quel suspens !