/!\ Attention : ce texte contient d’importants spoils sur l’histoire de Pokémon Origins, et devrait être lu uniquement après avoir fini les 5 Chapitres disponibles dans le fan game.
Épisode 3 : Illusions
Cyrio et moi nous tenions droits et immobiles, au milieu d’un grand hall au sommet d’une des plus hautes tours du Quartier Général. Devant nous se trouvait l’instructeur qui m’avait formé à la fonction de fidèle d’élite, un homme trapu, au regard sévère et à l’épaisse barbe noire. Nous étions rarement autorisés à interagir avec les officiers de la Confrérie du Feu, et c’était l’instructeur qui nous transmettait tous nos ordres.
— Nous sommes très satisfaits de vos exploits récents, commença-t-il. Sachez que vos efforts sont précieux dans l’avancement de notre cause. Notre Confrérie a acquis assez d’informations et d’influence pour envisager de s’étendre dans plusieurs autres parties d’Elenos, au-delà de notre bastion du sud.
Nous savions parfaitement qu’il ne nous avait pas fait venir pour nous couvrir d’éloges, et nous restâmes impassibles en attendant nos prochains ordres.
— Notre objectif est d’entreprendre plusieurs avancées majeures avant la grande cérémonie qui commémorera la mort de notre ancien Chef. Ce sera l’occasion de rappeler au monde que ce conflit a été lancé par une agression inqualifiable envers notre peuple, dont les coupables n’ont jamais osé revendiquer la paternité. La première étape sera de déployer un avant-poste sur l’île d’Embrage, où nous aurons tout l’espace et la tranquillité nécessaires pour poster et entraîner des fidèles tout près de l’île principale d’Elenos. Nous avons d’autres objectifs majeurs, mais je n’ai guère besoin de vous en dévoiler davantage. Vous êtes bien placés pour savoir que la confidentialité est d’une grande importance, même au sein de nos rangs.
Je hochai lentement la tête sans quitter l’instructeur des yeux une seule seconde. Nous avions appris durant notre formation à toujours regarder fixement un supérieur qui nous adresse des ordres, une marque d’écoute et de respect.
— La mission que je souhaite vous confier est un peu différente. Nous avons remarqué que la Confrérie de la Terre était en train de gagner en influence au nord-est de la région. Il se pourrait que cela nous pose problème assez rapidement. Il nous faut agir au plus vite pour contrecarrer leur avancée. Nous allons pour cela utiliser l’une de vos méthodes de prédilection : le sabotage.
L’instructeur se tourna vers la fenêtre du bâtiment et fixa l’horizon.
— Comme vous le savez, le code d’honneur interdit l’usage d’engins explosifs. C’est une denrée très rare à Elenos, et il reste pour beaucoup impensable de s’en servir dans ce conflit. Mais vous savez aussi que nous ne sommes pas du genre à nous plier aux commandements d’un code d’honneur désuet, vestige d’une époque de passivité. Notre Confrérie souhaite ardemment le changement, et nous devons nous donner les moyens d’y parvenir. Cela fait déjà plusieurs mois que nous procédons à la fabrication d’explosifs en prévision de nos besoins futurs, et nous les dissimulons dans plusieurs caches disséminées à travers Elenos.
Cyrio se risqua à une question :
— Pourquoi ne pas les entreposer au Quartier Général ?
L’instructeur ne quitta pas l’horizon des yeux et se gratta la barbe en secouant doucement la tête.
— Beaucoup trop risqué. Il est évident qu’il vaut mieux éviter qu’ils soient accessibles à n’importe qui. Avec les problèmes de fuites d’information et d’infiltrés qui se multiplient ces derniers temps, c’est une précaution évidente pour un atout aussi dangereux.
Cyrio hocha la tête, l’air convaincu.
— Voyez-vous, reprit l’instructeur, j’ai longtemps parcouru la région durant mes jeunes années, et je connais nombre d’endroits dont bien peu soupçonnent l’existence. Au nord-est, j’ai notamment trouvé une vallée reculée, abritant un magnifique lac. L’étendue d’eau protégeait l’accès à une grotte, j’ai donc construit un pont rudimentaire pour y accéder et m’y installer pour un entraînement de quelques mois.
L’instructeur se tourna de nouveau vers nous, son regard se fit plus grave que jamais.
— C’est dans cette grotte que je suis retourné il y a quelques mois pour dissimuler de puissants explosifs. Je ne pensais pas que nous en aurions besoin aussi tôt, mais les ordres sont les ordres. Mon devoir exige malheureusement ma présence ailleurs, c’est donc à vous que je confie la récupération de ce matériel.
Il nous mena vers une carte posée sur son bureau, où il nous expliqua l’emplacement de cette vallée et la façon la plus sûre d’y accéder.
— La phase la plus critique sera votre arrivée sur la côte, expliqua-t-il. Nous savons que la Confrérie de la Terre est basée à Azuropolis, mais nous ignorons si elle a déjà pris possession des villes alentour. Il serait dangereux que vous accostiez à Marézan où autre part au nord-est, car ils pourraient surveiller les côtes. Vous allez donc arriver de nuit, par la Crique des Sanglots, à proximité de laquelle aucune Confrérie n’est installée selon nos informations. Il est de plus particulièrement difficile d’y naviguer, vous devriez donc être tranquilles. De là, vous pourrez cheminer isolément, avec votre discrétion habituelle, avant de vous rejoindre dans la vallée. Vous n’aurez plus qu’à récupérer la marchandise. Un autre fidèle d’élite vous attendra à l’aube sur la Route 7, au nord d’Azuropolis, et il se chargera de la suite. Compris ?
Nous répondîmes à l’unisson avec confiance et détermination :
— Compris.
Il nous tourna le dos et nous salua sèchement :
— Vous partez demain matin. Un bateau vous amènera au large de la côte est, et vous partirez au coucher du soleil avec une embarcation discrète. Vous pouvez disposer.
Mon partenaire et moi quittâmes la pièce sans un bruit, perdus dans nos pensées. Cette mission me paraissait tout à fait à notre portée, et j’avais tout intérêt à briller une fois de plus si je voulais atteindre mon objectif. La grande cérémonie approchait, et il me fallait obtenir les faveurs de mes supérieurs pour avoir les meilleures chances d’y participer, ce qui me donnerait une opportunité idéale d’en finir avec le Général Ignacio.
Lors de mon passage au Quartier Général, j’étais parvenu à m’introduire dans une pièce où étaient stockés des documents planifiant ce grand évènement. J’avais localisé la chambre où devait loger le Général. J’ignorais cependant où allait se dérouler la célébration. Une extrême tension et une grande prudence entouraient cet évènement qui allait réunir les officiers de notre Confrérie. Encore un peu… Je devais tenir juste encore un peu avant d’accomplir mon but…
Pendant la nuit, un fidèle vint frapper à la porte de mon dortoir. Il me demanda de le suivre, l’instructeur voulait apparemment me parler en privé. Après une longue marche silencieuse à travers les couloirs, il me laissa entrer dans une grande pièce où m’attendait l’instructeur. L’homme qui m’escortait referma la porte et je l’entendis s’éloigner. L’instructeur me tournait le dos, fixant le ciel nocturne. Il se retourna subitement et s’adressa à moi avec une voix encore plus grave que d’habitude :
— Je serai bref : la situation est critique. Nous avons été compromis.
Pendant un instant, ma gorge se serra à l’idée qu’on avait pu découvrir que j’avais accédé à des documents confidentiels. Le sujet se révéla finalement être tout autre.
— Ton partenaire a trahi notre Confrérie, déclara l’instructeur.
Moi qui avais appris à rester impassible en toutes circonstances, je ne pus retenir ma stupéfaction face à cette annonce :
— Mon… Mon partenaire ?
— Ton partenaire, EL-96, appelle-le comme tu veux, mais nous avons découvert qu’il nous a trahis. Il a été aperçu en train de converser avec des fidèles de l’Eau. Ils auraient également échangé une enveloppe avant de se quitter comme si de rien n’était.
Je ne pouvais pas croire ce que j’entendais.
— Voyons… C’est inconcevable… Quel intérêt aurait-il eu à faire ça ? Et qui vous a rapporté ça ?
— J’ai des sources que je sais pertinentes et fiables. Pour ce qui est des raisons de sa trahison, qui sait ce qu’a pu lui promettre l’ennemi ? L’argent, le pouvoir, peu importe…
L’instructeur balaya nerveusement la pièce du regard, comme si un espion avait pu se cacher dans un coin sombre.
— Nous l’avons placé sous haute surveillance afin de nous assurer qu’il ne divulguera rien des détails de cette ultime mission.
— Cette… ultime mission ?
— Nous réservons le même traitement à tous les traîtres : l’éradication pure et simple. Mais cela doit se faire à la manière des fidèles d’élite, dans la plus parfaite discrétion.
— Vous voulez dire que… cette mission était un leurre ?
— Pas vraiment. Des explosifs ont bel et bien été cachés là-bas, et tu as toujours pour ordre d’en rapporter une partie. Malheureusement, EL-96 va être victime d’un accident fatal. Des explosifs seront déclenchés par inadvertance, et ce brave fidèle d’élite perdra la vie dans l’exercice de ses fonctions.
Je restai sans voix en réalisant ce que l’instructeur me demandait de faire.
— Est-ce que j’ai été assez clair ? insista-t-il.
— Très clair, répondis-je en redressant la tête.
— Ton avenir ici dépend entièrement du bon déroulement de cette mission. Tâche de ne pas me décevoir.
Sans même me saluer, il m’indiqua la porte d’un signe de tête et se retourna.
Alors que je regagnais mon dortoir en marchant silencieusement dans les couloirs sombres, j’étais encore sous le choc de ce que je venais d’entendre. Durant ces dernières années, je m’étais créé une carapace, plus rien n’atteignait mes émotions, mais là… À vrai dire, peu m’importait que Cyrio ait trahi la Confrérie du Feu, c’était même également mon intention. Ce qui me perturbait profondément, c’était qu’il ait pu me trahir, moi. Après tout ce que nous avions partagé… J’avais vraiment l’impression qu’un lien presque fraternel s’était tissé entre nous… Tout cela n’avait-il été qu’une illusion ? Est-ce que mon âme avait encore fait preuve de faiblesse ?
Je ne pouvais pas faire de sentiments, il était trop tard pour revenir en arrière. Si je voulais préserver ma place de fidèle d’élite et accéder à la cérémonie qui approchait, je n’avais pas le choix : il fallait… éliminer mon partenaire.
Le lendemain matin, Cyrio et moi fûmes encouragés à ne garder que le strict minimum avant notre départ. Chacun de nous garda la Pokéball de son plus fidèle compagnon, Simiabraz pour Cyrio, et Galopa pour moi. Nous embarquâmes ensuite sur un navire avec un équipage d’une dizaine de fidèles. Le voyage fut long mais tranquille, les navigateurs prenant bien soin d’éviter tout bateau ennemi. Personne ne parlait de notre mission, et il me semblait évident que Cyrio et moi étions les seuls à savoir ce que nous allions chercher. Les missions des fidèles d’élite étaient toujours extrêmement confidentielles, nous y étions habitués. Alors, comme toujours, nous étions murés dans le silence.
Le bateau s’immobilisa peu de temps avant le coucher du soleil. Nous étions arrivés au point convenu, au large de la côte est de l’île principale d’Elenos. L’équipage prépara notre embarcation, un petit voilier qui ne semblait pas taillé pour faire face à une forte houle, mais qui avait l’avantage d’être très discret.
Lorsque le soleil commença à tomber dans l’océan, l’embarcation fut mise à flot, et nous sautâmes tous deux à son bord. Personne ne prononça un seul mot tandis qu’un membre de l’équipage détachait notre voilier du grand navire, et nous nous éloignâmes en silence.
Cyrio dirigeait notre embarcation avec son brio habituel, évitant les vagues traîtresses et nous rapprochant petit à petit des côtes. Au bout d’environ une heure, la nuit était entièrement tombée. Depuis notre départ, mon partenaire était resté silencieux, concentré sur la navigation. Je n’avais pas non plus prononcé un mot, fixant ma main gauche couverte de bandages noirs, symbole éternel de mes brûlures et de mon incapacité à protéger ma tribu. La tension était palpable, bien plus que d’habitude. Je ne faisais que ressasser les paroles de mon instructeur. Cyrio nous avait-il trahis ? L’éliminer était-il le seul moyen d’atteindre mon but ?
Nous aperçûmes enfin une lumière dans la nuit noire. C’était le phare de la Crique des Sanglots qui nous indiquait notre premier objectif. Je décidai de sortir de ce silence pesant et d’adresser quelques conseils et encouragements à Cyrio tandis que nous approchions du rivage.
Lorsque nous descendîmes à terre, un éclair déchira le ciel et laissa entrevoir un horizon chargé de nuages au nord. La nuit allait être agitée. Alors que nous nous apprêtions à nous mettre en route, Cyrio me fit remarquer qu’il avait aperçu une lumière, plus petite et plus distante que celle du phare. Il fallait rester prudents, une présence ennemie n’était pas à exclure. Nous échangeâmes quelques mots, et chacun partit de son côté avec la promesse de se retrouver avant l’aube dans la vallée où nous attendait la cargaison.
Cheminant prestement à travers bois, prairies et marais, je passai le village de Princhamps avant de traverser la rivière du Zéphyr tout en contournant Azuropolis pour me diriger ensuite plein nord. J’arrivai ensuite dans une zone plus montagneuse où j’escaladai les parois et enjambai les précipices les uns après les autres. Je finis par atteindre un sentier dissimulé au cœur d’un petit bois alors qu’un orage semblait de plus en plus imminent.
Lorsque les arbres commencèrent à être plus clairsemés, j’aperçus enfin les contours d’une vaste vallée. Le paysage aurait certainement été grandiose sous la lumière de la lune, mais la visibilité était réduite à cause de la pluie qui ne faisait que s’intensifier tandis que le vent hurlait et que le tonnerre grondait. J’aperçus Cyrio qui se tenait debout, fixant la surface agitée du lac qui s’étendait devant nous. Il se retourna avant que j’arrive jusqu’à lui. Nos regards ne se croisèrent qu’un instant, mais j’eus l’impression qu’il cherchait à éviter le mien.
Je lui montrai du doigt le pont dont nous avait parlé l’instructeur, et nous traversâmes le plan d’eau avant d’arriver enfin dans la grotte où nous attendait une grande quantité d’explosifs. Ils étaient accompagnés de grands sacs en toile, et je m’attelai à en remplir un le plus possible tandis que Cyrio en fit autant. Le silence qui régnait dans la grotte était assourdissant. Je ressentais un profond malaise à chaque fois que j’empoignais un bâton d’explosifs. Était-ce avec cet engin que j’allais ôter la vie de mon précieux camarade ?
Je constatai que les explosifs étaient organisés par grappes, chacune reliée à un détonateur qui semblait conçu pour se déclencher au bout d’un temps défini. Comment devais-je m’y prendre ? Fallait-il faire sauter la grotte pour condamner mon partenaire, ou bien…
Je revins soudainement à la réalité en réalisant que j’étais en train de réfléchir aux moyens de tuer l’une des seules personnes qui m’avaient traité comme un égal, comme un frère, depuis la disparition de ma tribu. Ces années au service de la Confrérie du Feu avaient-elles fait de moi un monstre, obsédé par l’accomplissement de ses objectifs ? Pourquoi étais-je resté un bon soldat toutes ces années au lieu de chercher à me venger plus tôt ?
Déstabilisé, je relevai la tête vers Cyrio, et je vis qu’il me regardait. Je me remis aussitôt à engouffrer les engins meurtriers dans mon sac. Avait-il compris que j’avais des soupçons ? Comment allait-il réagir ? Il fallait agir rapidement…
Une fois son sac rempli, mon partenaire le referma et le souleva par-dessus son épaule pour le caler dans son dos. Je fis de même et lui emboitai le pas, sortant de la grotte où nous n’avions laissé que des sacs vides. Dehors, la tempête faisait rage, et nous fûmes aussitôt éblouis par un éclair. Cyrio se remit à observer la surface du lac, perdu dans ses pensées. Je m’engageai alors sur le pont avant de me retourner vers lui et de déclarer avec détermination :
— Allez, on n’a plus qu’à atteindre la Route 7.
Je crus percevoir un profond désespoir dans ses yeux. Est-ce que je rêvais ? Est-ce que j’avais déjà commis une grosse erreur en le laissant sortir de la grotte ? Je ne parvenais plus à faire de l’ordre dans mes pensées qui tourbillonnaient autant que le vent sur les sommets qui nous entouraient…
Arrivé au milieu du pont, je constatai que Cyrio restait en retrait, et je décidai finalement de reposer mon sac. Il fallait que je lui dise les choses sincèrement. Même si c’était risqué, je devais savoir une fois pour toutes si c’était un traître. Je devais comprendre. Tous ces moments partagés, ces souvenirs échangés, ces discussions sur la vie, la mort et la nature de l’âme, ça ne pouvait pas être vain…
Au moment où je m’apprêtais à me retourner vers mon partenaire, un éclair illumina à nouveau la vallée. Durant un bref instant, j’aperçus une silhouette humaine qui se détachait des arbres, de l’autre côté du lac. Quelqu’un nous avait suivis, c’était un premier échec… J’avais eu le temps d’entrevoir un uniforme qui me faisait penser à la Confrérie de la Terre. Un de leurs fidèles avait donc réussi à déjouer notre vigilance…
Sans montrer aucune réaction, je me retournai vers Cyrio et lui fis quelques gestes discrets pour lui faire comprendre que nous avions été suivis et que nous devions passer à la phase de diversion et d’élimination. La discussion honnête devait attendre.
Nous n’avions eu le droit d’emporter aucune arme, pas même un poignard, et nous ne souhaitions pas gâcher d’explosifs pour ce menu fretin. Inutile aussi d’utiliser nos Pokémons. Nous n’aurions qu’à lui briser la nuque ou à le noyer. Pour le maîtriser, nous appliquâmes une méthode qui avait fait ses preuves à de nombreuses reprises : lui donner l’illusion de la supériorité en nous faisant passer pour de simples fidèles sans valeur. C’était le meilleur moyen de faire sortir l’ennemi de sa cachette.
Cyrio posa alors son sac sur le pont, feignant l’épuisement, et je lançai la première réplique de notre tirade :
— Je t’avais bien dit qu’on n’aurait pas dû accepter de faire le sale boulot. J’ai honte pour nos âmes, ce qu’on est en train de faire est immoral, c’est contraire au code d’honneur !
Mon acolyte répondit aussitôt en jouant le jeu comme prévu, s’appliquant à parler assez fort pour être entendu malgré la tempête :
— Il faut bien que quelqu’un le fasse. C’est pour notre bien à tous… Et puis, si on continue sur cette lancée, on va peut-être avoir une promotion.
— Pfff… soufflai-je. Tu rêves. Jamais le Chef ne bougerait le petit doigt pour nous…
À cet instant, la foudre tomba non loin du lac dans un fracas assourdissant. Je décidai d’enfoncer le clou et de jouer l’inquiétude, le regard rivé vers les montagnes :
— Qu’est-ce que c’était ? L’orage ?
Cyrio en rajouta en regardant dans la même direction que moi :
— Oui ! Tu as vu ça ? La foudre n’est pas tombée loin. On devrait se dépêcher…
J’entendais déjà des pas manquant de discrétion sur les planches de bois du pont. Notre cible était en mouvement. La foudre tomba à nouveau et poussa Cyrio à tourner la tête en direction du pont, il ne pouvait plus feindre l’ignorance.
— Attention ! cria-t-il. Derrière toi !
Aussitôt, le fidèle de la Terre se jeta sur moi par-derrière et m’immobilisa en brandissant un couteau sous ma gorge.
— Waaah ! hurlai-je. Mais qu’est-ce qu’il fait là, lui ?
Je n’avais pas prévu qu’un fidèle de la Terre pourrait être armé, mais cela ne changeait rien au plan. Il pensait peut-être que sa menace allait nous pousser à coopérer sans faire d’histoires, mais je savais qu’il n’aurait même pas le temps de négocier. À mon signal, Cyrio et moi allions agir avec une telle vitesse et une telle synchronisation que notre ennemi n’aurait aucune chance.
La foudre tomba à nouveau à l’instant où je fis un léger signe de tête à Cyrio pour qu’il passe à l’action. Il ne réagit pas à mon signal. Il semblait nous fixer avec un mélange de désespoir et d’hésitation.
— Aide-moi !! criai-je en me débattant de toutes mes forces.
L’une de mes jambes percuta mon sac d’explosifs qui s’effondra sur le pont et laissa tomber plusieurs charges. Je constatai alors avec horreur que l’écran de l’un des détonateurs indiquait “00:10”, puis “00:09”. J’étais tétanisé. Je n’avais pas pu me résoudre à déclencher ces explosifs, alors qui l’avait fait ? Ça ne pouvait être que Cyrio… Mais je ne pouvais pas concevoir une telle chose…
Mais au lieu de me libérer de mon agresseur, mon partenaire préféra s’emparer de son sac d’explosifs pour le jeter à l’eau. Il me tourna le dos et je compris qu’il s’apprêtait à fuir. Pendant ces 10 secondes qui me semblaient être une éternité, je voyais devant moi une scène qui me hantait et que je n’avais jamais osé envisager assez sérieusement.
— Mais… Ne me laisse pas ! hurlai-je avec une peur qui n’avait plus rien de factice.
Alors que mon assaillant tentait toujours de m’immobiliser, je parvins à tendre mon bras droit jusqu’à la ceinture de Cyrio pour m’y agripper et l’empêcher de fuir. J’aurais pu le laisser partir et maximiser mes chances de repousser le fidèle de la Terre, mais je refusais qu’il s’en aille comme ça, sans dire un mot. Malheureusement, c’est à la Pokéball accrochée à la ceinture de Cyrio que je venais de m’agripper, et la lanière qui tenait cette dernière finit par se détacher.
— Sale traître ! laissai-je échapper alors que mon partenaire commençait à s’éloigner.
Alors qu’il ne me restait plus qu’un instant pour réagir, je savais qu’il était trop tard pour me libérer de l’étreinte du fidèle de la Terre, mais un instinct de survie me conféra la force et l’adresse nécessaires pour déjouer la prise de mon agresseur. Je parvins alors à me retourner, tandis que lui se retrouva placé entre moi et les explosifs répandus sur le pont. Le fidèle n’eut même pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait, tandis que je me retournai vers Cyrio en hurlant, plein de ressentiment et de rage :
— Sois maudit !!
Une violente explosion embrasa alors l’air environnant. Je n’entendais plus rien, mais je sentis aussitôt une violente douleur sur mon visage que je n’avais pas abrité derrière le corps de mon adversaire. La dernière chose que je vis fut Cyrio, qui était encore assez proche et se fit projeter contre un rocher par le souffle de l’explosion.
Lorsque je revins à moi, les nuages avaient disparu et laissaient apparaître un ciel étoilé. L’air était frais et calme. J’étais étendu sur la rive du lac, blessé, brûlé, mais bien en vie. Je ne sentais plus la partie droite de mon visage qui avait subi l’explosion de plein fouet. J’avais même la sensation que mon œil droit ne voyait plus. De mon œil gauche, cependant, je vis à mes côtés le fidèle de la Terre, inerte, le corps couvert de brûlures. J’inspectai rapidement les alentours sans apercevoir une seule trace de Cyrio.
J’étais épuisé et je souffrais terriblement, mais je devais le retrouver. Cependant, mon instinct de fidèle d’élite efficace et ordonné me rappela que le plus urgent était de faire disparaître ce corps, cette nouvelle preuve que le code d’honneur avait été enfreint. Je ne pris pas le temps de réfléchir pour déterminer s’il était encore la peine de remplir mon rôle. Je constatai que le lac n’était relié à aucune rivière coulant vers l’aval. Je repérai cependant un torrent de montagne passant à quelques dizaines de mètres, et qui filait certainement vers la mer. Hissant le corps du fidèle sur mon dos brisé par la fatigue, je m’accrochai d’un bras à une paroi rocheuse pour parvenir jusqu’au cours d’eau, où je pus laisser tomber ma cargaison. Le corps de mon agresseur dériva lentement, et tandis que je le regardai s’éloigner en réfléchissant à ce qui venait de se passer, je m’effondrai de nouveau d’épuisement.
Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque j’ouvris à nouveau l’œil gauche. Je réalisai alors que c’était trop tard. J’avais échoué. On nous attendait à l’aube avec une cargaison qui était intégralement partie en fumée. Et pour couronner le tout, j’avais échoué à éliminer le traître contre lequel on m’avait pourtant averti…
Je pris le temps de rassembler mes esprits et de soigner sommairement la partie droite de mon visage qui avait brûlé. J’utilisai quelques baies pour soulager cette douleur qui était devenue bien trop familière et qui ne faisait que s’ajouter à des souvenirs tout aussi douloureux. Je finis par recouvrir cette partie de mon visage avec un morceau de tissu noir extrait de ma tenue qui avait aussi souffert.
Quand je parvins à me mettre debout, je redescendis en direction du lac, et longeai longuement sa rive, constatant qu’il n’y avait aucune trace de Cyrio, et que l’intégralité des explosifs était sûrement déjà partie en fumée. Une rage et une colère sourdes bouillonnaient en moi, j’avais l’impression de me faire consumer de l’intérieur.
C’était terminé. Je ne pouvais plus retourner au Quartier Général de la Confrérie du Feu. J’avais lamentablement échoué. Je n’avais plus aucune chance d’éliminer le Général Ignacio et d’accomplir mon dernier objectif. Tout en fixant mon bras gauche, je repensais à tout ce que j’avais traversé pour en arriver là. Tout cela n’avait finalement aucun sens. J’avais perdu tous les gens que j’aimais d’un seul coup, et j’avais passé le reste de mon existence à fomenter une vengeance tout en me mettant au service de ceux qui m’avaient tout pris.
Pendant un instant, l’idée que mon existence touchait à sa fin me traversa l’esprit, mais elle fut bien vite consumée par les flammes d’une rage qui ne faisait que grandir en moi. Tout ça, c’était sa faute. J’avais fait confiance à Cyrio, je l’avais considéré comme un frère. J’avais refusé de croire qu’il pouvait me trahir, j’avais refusé de l’éliminer…
Mais pourquoi avait-il fait ça ? Tout ça n’avait aucun sens… Il fallait que je comprenne. Donner du sens était la dernière chose qu’il me restait à faire. Je voulais le retrouver, je voulais le comprendre, et je voulais qu’il souffre…
Il n’avait pas pu partir bien loin, il ne fallait pas traîner. Après m’être assuré que j’avais bien deux Pokéballs en ma possession : mon Galopa et le Simiabraz de Cyrio, je me remis en route. Mes illusions avaient mené à ma chute… mais je n’étais pas encore mort, et je devais continuer d’avancer jusqu’à mon dernier souffle. Péniblement, je me dirigeai vers la sortie de la vallée, vers une nouvelle quête de vengeance, d’une part, mais aussi, et surtout, vers une quête de sens…
La chute du phénix
FIN
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